"À la
lumière du « Jubilé des personnes socialement exclues», alors que dans
toutes les cathédrales et dans les sanctuaires du monde les Portes de la
Miséricorde se fermaient, j’ai eu l’intuition que, comme dernier signe
concret de cette Année Sainte extraordinaire, on devait célébrer dans
toute l’Église, le XXXIIIème Dimanche du Temps ordinaire, la Journée
mondiale des pauvres. Ce sera la meilleure préparation pour vivre la
solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers, qui s’est
identifié aux petits et aux pauvres et qui nous jugera sur les œuvres de
miséricorde (cf. Mt 25,31-46). Ce sera une journée qui aidera les
communautés et chaque baptisé à réfléchir sur la manière dont la
pauvreté est au cœur de l’Évangile et sur le fait que, tant que Lazare
git à la porte de notre maison (cf. Lc 16,19-21), il ne pourra y avoir
de justice ni de paix sociale. Cette Journée constituera aussi une
authentique forme de nouvelle évangélisation (cf. Mt 11,5) par laquelle
se renouvellera le visage de l’Église dans son action continuelle de
conversion pastorale pour être témoin de la miséricorde."
Pape François
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MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
Ve JOURNÉE MONDIALE DES PAUVRES
14 novembre 2021, XXXIIIe dimanche du temps ordinaire
« Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,7)
1. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,
7). Jésus a prononcé ces paroles dans le cadre d’un repas à Béthanie,
dans la maison d’un certain Simon dit « le lépreux », quelques jours
avant la pâque. Comme le raconte l’évangéliste, une femme était entrée
avec un vase d’albâtre rempli d’un parfum très précieux et l’avait versé
sur la tête de Jésus. Ce geste avait suscité un grand étonnement et a
donné lieu à deux interprétations différentes.
La première est l’indignation de certains parmi les personnes
présentes, y compris les disciples qui, compte tenu de la valeur du
parfum – environ 300 deniers, soit l’équivalent du salaire annuel d’un
travailleur – pensent qu’il aurait été préférable de le vendre et de
donner le produit aux pauvres. Selon l’Évangile de Jean, c’est Judas qui
se fait l’interprète de cette position : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu
ce parfum pour trois cents deniers que l’on aurait donné à des pauvres
??» Et l’évangéliste note : « Il parlait ainsi, non par souci des
pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse
commune, il prenait ce que l’on y mettait. » (12, 5-6). Ce n’est pas un
hasard si cette critique sévère vient de la bouche du traître: c’est la
preuve que ceux qui ne reconnaissent pas les pauvres trahissent
l’enseignement de Jésus et ne peuvent pas être ses disciples.
Rappelons-nous, à cet égard, les paroles fortes d’Origène: « Judas
semblait se soucier des pauvres [...]. S’il y a maintenant encore
quelqu’un qui détient la bourse de l’Église et qui parle en faveur des
pauvres comme Judas, mais qui prend ce qu’on y met dedans, alors qu’il
ait sa part avec Judas » (Commentaire à l’Évangile de Matthieu 11, 9).
La deuxième interprétation est donnée par Jésus lui-même et permet de
saisir le sens profond du geste accompli par la femme. Il dit :
« Laissez-la ! Pourquoi la tourmenter ? Il est beau le geste qu’elle a
fait envers moi » (Mc 14, 6). Jésus sait que sa mort est proche
et voit dans ce geste l’anticipation de l’onction pour son corps sans
vie avant qu’il ne soit placé au tombeau. Ce point de vue va au-delà de
toute attente des convives. Jésus leur rappelle que le premier pauvre
c’est Lui, le plus pauvre parmi les pauvres parce qu’il les représente
tous. Et c’est aussi au nom des pauvres, des personnes seules,
marginalisées et discriminées que le Fils de Dieu accepte le geste de
cette femme. Par sa sensibilité féminine, elle montre qu’elle est la
seule à comprendre l’état d’esprit du Seigneur. Cette femme anonyme -
peut être destinée à représenter l’univers féminin tout entier qui, au
fil des siècles, n’aura pas voix au chapitre et subira des violences -
inaugure la présence significative des femmes qui participent aux
événements culminants de la vie du Christ : sa crucifixion, sa mort et
son ensevelissement ainsi que son apparition comme Ressuscité. Les
femmes, si souvent discriminées et tenues à l’écart des postes de
responsabilité, sont au contraire, dans les pages des Évangiles,
protagonistes dans l’histoire de la révélation. Et l’expression finale
de Jésus, qui associe cette femme à la grande mission évangélisatrice,
est éloquente : « Amen, je vous le dis : partout où l’Évangile sera
proclamé – dans le monde entier – on racontera, en souvenir d’elle, ce
qu’elle vient de faire » (Mc 14, 9).
2. Cette forte “empathie” entre Jésus et la femme, et la façon dont
il interprète son onction en contraste avec la vision scandalisée de
Judas et des autres, ouvrent une voie féconde de réflexion sur le lien
indissociable qui existe entre Jésus, les pauvres et l’annonce de
l’Évangile.
Le visage de Dieu qu’il révèle est en effet, celui d’un Père pour les
pauvres et proche des pauvres. Toute l’œuvre de Jésus affirme que la
pauvreté n’est pas le fruit de la fatalité, mais le signe concret de sa
présence parmi nous. Nous ne le trouvons pas quand et où nous le
voulons, mais nous le reconnaissons dans la vie des pauvres, dans leur
souffrance et leur misère, dans les conditions parfois inhumaines dans
lesquelles ils sont forcés de vivre. Je ne me lasse pas de répéter que
les pauvres sont de véritables évangélisateurs parce qu’ils ont été les
premiers à être évangélisés et appelés à partager le bonheur du Seigneur
et de son Royaume (cf. Mt 5, 3).
Les pauvres de toute condition et de toute latitude nous évangélisent, car
ils nous permettent de redécouvrir de manière toujours nouvelle les
traits les plus authentiques du visage du Père. « Ils ont beaucoup à
nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs
propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est
nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle
évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de
leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église.
Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à
leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les
comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous
communiquer à travers eux. Notre engagement ne consiste pas
exclusivement en des actions ou des programmes de promotion et
d’assistance; ce que l’Esprit suscite n’est pas un débordement
d’activisme, mais avant tout une attention à l’autre qu’il
considère comme un avec lui. Cette attention aimante est le début d’une
véritable préoccupation pour sa personne, à partir de laquelle je désire
chercher effectivement son bien » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn. 198-199).
3. Jésus est non seulement du côté des pauvres, mais partage avec eux le même sort. C’est aussi un enseignement fort pour ses disciples de tous les temps. Ses mots « les pauvres, vous en aurez toujours avec vous »
indiquent aussi ceci : leur présence parmi nous est constante, mais
elle ne doit pas conduire à une habitude qui devienne indifférence, mais
impliquer dans un partage de vie qui n’admet pas de procurations. Les
pauvres ne sont pas des personnes “extérieures” à la communauté, mais
des frères et sœurs avec qui partager la souffrance, pour soulager leur
malaise et leur marginalisation, pour qu’on leur rende la dignité perdue
et qu’on leur assure l’inclusion sociale nécessaire. Par ailleurs, on
sait qu’un geste de bienfaisance présuppose un bienfaiteur et quelqu’un
qui en bénéficie, tandis que le partage engendre la fraternité. L’aumône
est occasionnelle ; tandis que le partage est durable. La première
risque de gratifier celui qui la fait et d’humilier celui qui la reçoit ;
la seconde renforce la solidarité et pose les conditions nécessaires
pour parvenir à la justice. Bref, les croyants, lorsqu’ils veulent voir
Jésus en personne et le toucher de leurs mains, savent vers qui se
tourner : les pauvres sont un sacrement du Christ, ils représentent sa
personne et nous renvoient à lui.
Nous avons tant d’exemples de saints et de saintes qui ont fait du
partage avec les pauvres leur projet de vie. Je pense, entre autres, au
père Damien de Veuster, un saint apôtre des lépreux. Avec une grande
générosité, il répondit à l’appel à se rendre sur l’île de Molokai,
devenue un ghetto accessible uniquement aux lépreux, pour vivre et
mourir avec eux. Il s’est retroussé les manches et fit tout pour rendre
la vie de ces pauvres malades et marginalisés, réduits à une dégradation
extrême, digne d’être vécue. Il se fit médecin et infirmier,
inconscient des risques qu’il prenait et dans cette “colonie de la
mort”, comme on appelait l’île, il a apporté la lumière de l’amour. La
lèpre l’a également frappé, signe d’un partage total avec les frères et
sœurs pour lesquels il avait fait don de sa vie. Son témoignage est très
actuel en ces jours marqués par la pandémie de coronavirus : la grâce
de Dieu est certainement à l’œuvre dans le cœur de beaucoup de personnes
qui, dans la discrétion, se dépensent pour les plus pauvres dans un
partage concret.
4. Nous devons donc adhérer avec une conviction totale à l’invitation
du Seigneur : « Convertissez-vous et croyez en l’Évangile » (Mc 1, 15). Cette conversion consiste
avant tout à ouvrir notre cœur afin de reconnaître les multiples
expressions de pauvreté et à manifester le Royaume de Dieu par un mode
de vie cohérent avec la foi que nous professons. Souvent, les pauvres
sont considérés comme des personnes séparées, comme une catégorie qui
demande un service de bienfaisance particulier. Suivre Jésus implique, à
cet égard, un changement de mentalité, c’est-à-dire de relever le défi
du partage et de la participation. Devenir ses disciples implique le
choix de ne pas accumuler de trésors sur la terre, qui donnent
l’illusion d’une sécurité, en réalité fragile et éphémère. Au contraire,
cela exige la disponibilité à se libérer de tout lien qui empêche
d’atteindre le vrai bonheur et la béatitude, pour reconnaître ce qui est
durable et ne peut être détruit par rien ni personne (cf. Mt 6, 19-20).
Ici l’enseignement de Jésus va aussi à contre-courant, car il promet
ce que seuls les yeux de la foi peuvent voir et expérimenter avec une
certitude absolue : « Celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des
maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une
terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle » (Mt 19,
29). Si l’on ne choisit pas de devenir pauvre de richesses éphémères,
de pouvoir mondain et de vantardise, on ne pourra jamais donner sa vie
par amour ; on vivra une existence morcelée, pleine de bonnes
intentions, mais inefficace pour transformer le monde. Il s’agit donc de
s’ouvrir résolument à la grâce du Christ, qui peut nous rendre témoins
de sa charité sans limites et redonner de la crédibilité à notre
présence dans le monde.
5. L’Évangile du Christ pousse à avoir une attention tout à fait
particulière à l’égard des pauvres et demande de reconnaître les
multiples, les trop nombreuses formes de désordre moral et social qui
engendrent toujours de nouvelles formes de pauvreté. La
conception selon laquelle les pauvres sont non seulement responsables de
leur condition mais constituent un fardeau intolérable pour un système
économique, qui place au centre l’intérêt de certaines catégories
privilégiées, semble faire son chemin. Un marché qui ignore ou
sélectionne les principes éthiques crée des conditions inhumaines qui
frappent des personnes qui vivent déjà dans des conditions précaires. On
assiste ainsi à la création de pièges toujours nouveaux de la misère et
de l’exclusion, produits par des acteurs économiques et financiers sans
scrupules, dépourvus de sens humanitaire et de responsabilité sociale.
L’année dernière, un autre fléau s’est ajouté, qui a encore multiplié
les pauvres : la pandémie. Elle continue à frapper aux portes de
millions de personnes et, quand elle n’apporte pas avec elle la
souffrance et la mort, elle est quand même porteuse de pauvreté. Le
nombre de pauvres a augmenté de manière démesurée et, malheureusement,
cela sera encore dans les mois à venir. Certains pays subissent des
conséquences très graves de la pandémie, de sorte que les personnes les
plus vulnérables se retrouvent privées de biens de première nécessité.
Les longues files d’attente devant les cantines pour les pauvres sont le
signe tangible de cette aggravation. Un examen attentif exige que l’on
trouve les solutions les plus appropriées pour lutter contre le virus au
niveau mondial, sans viser des intérêts partisans. En particulier, il
est urgent d’apporter des réponses concrètes à ceux qui souffrent du
chômage, qui touche de façon dramatique de nombreux pères de famille,
des femmes et des jeunes. La solidarité sociale et la générosité dont
beaucoup, grâce à Dieu, sont capables, combinées à des projets
clairvoyants de promotion humaine, apportent et apporteront une
contribution très importante à cet égard.
6. La question qui n’est en rien évidente reste toutefois ouverte :
comment peut-on apporter une réponse tangible aux millions de pauvres
qui trouvent souvent comme seule réponse l’indifférence quand ce n’est
pas de l’agacement ? Quelle voie de justice faut-il emprunter pour que
les inégalités sociales puissent être surmontées et que la dignité
humaine, si souvent bafouée, soit rétablie ? Un mode de vie
individualiste est complice de la pauvreté, et décharge souvent sur les
pauvres toute la responsabilité de leur condition. Mais la pauvreté
n’est pas le fruit du destin, elle est une conséquence de l’égoïsme. Il
est donc essentiel de mettre en place des processus de développement qui valorisent les capacités de tous,
pour que la complémentarité des compétences et la diversité des rôles
conduisent à une ressource commune de participation. Beaucoup de
pauvreté des “riches” qui pourrait être guérie par la richesse des
“pauvres”, si seulement ils se rencontraient et se connaissaient !
Personne n’est si pauvre qu’il ne puisse pas donner quelque chose de
lui-même dans la réciprocité. Les pauvres ne peuvent pas être seulement
ceux qui reçoivent ; ils doivent être mis dans la condition de pouvoir
donner, parce qu’ils savent bien comment le faire. Combien d’exemples de
partage sont sous nos yeux! Les pauvres nous enseignent souvent la
solidarité et le partage. C’est vrai, ces gens manquent de quelque chose, ils leur manquent souvent beaucoup et même du nécessaire, mais ils ne manquent pas de tout, parce qu’ils conservent leur dignité d’enfants de Dieu que rien ni personne ne peut leur enlever.
7. C’est pourquoi une approche différente de la pauvreté s’impose.
C’est un défi que les Gouvernements et les Institutions mondiales
doivent relever avec un modèle social tourné vers l’avenir, capable de
faire face aux nouvelles formes de pauvreté qui touchent le monde et qui
marqueront de manière décisive les décennies à venir. Si les pauvres
sont mis en marge, comme s’ils étaient les responsables de leur
condition, alors le concept même de la démocratie est mis en crise et
chaque politique sociale devient défaillante. Nous devrions avouer avec
une grande humilité que nous sommes souvent des incompétents devant les
pauvres. On parle d’eux de manière abstraite, on s’arrête aux
statistiques et on s’émeut devant quelque documentaire. La pauvreté, au
contraire, devrait entraîner une conception créative, permettant
d’accroître la liberté effective de pouvoir réaliser l’existence avec
les capacités propres à chaque personne. C’est une illusion, dont il
faut rester à l'écart, que de penser que la liberté s’obtient et grandit
par le fait de posséder de l’argent. Servir efficacement les pauvres
provoque l’action et permet de trouver les formes les plus appropriées
pour relever et promouvoir cette partie de l’humanité trop souvent
anonyme et sans voix, mais qui a imprimé en elle le visage du Sauveur
qui demande de l’aide.
8. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,
7). C’est une invitation à ne jamais perdre de vue l’occasion qui se
présente de faire le bien. En arrière-plan, on peut entrevoir l’ancien
commandement biblique : « Se trouve-t-il chez toi un malheureux parmi
tes frères [...], tu n’endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras pas la
main à ton frère malheureux, mais tu lui ouvriras tout grand la main et
lui prêteras largement de quoi suffire à ses besoins. [...] Tu lui
donneras largement, ce n'est pas à contrecœur que tu lui donneras. Pour
ce geste, le Seigneur ton Dieu te bénira dans toutes tes actions et dans
toutes tes entreprises. Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce
pays. Aussi je te donne ce commandement : tu ouvriras tout grand ta main
pour ton frère quand il est, dans ton pays, pauvre et malheureux » (Dt 15,
7-8.10-11). Sur la même longueur d’onde, l’apôtre Paul exhorte les
chrétiens de ses communautés à secourir les pauvres de la première
communauté de Jérusalem et à le faire « sans regret et sans contrainte,
car Dieu aime celui qui donne joyeusement » (2 Co 9, 7). Il ne
s’agit pas d’alléger notre conscience en faisant quelque aumône, mais
plutôt de s’opposer à la culture de l’indifférence et de l’injustice
avec lesquelles on se place vis-à-vis des pauvres.
Dans ce contexte, il convient également de rappeler les paroles de
saint Jean Chrysostome : « Celui qui est généreux ne doit pas demander
des comptes sur la conduite, mais seulement améliorer la condition de
pauvreté et satisfaire le besoin. Le pauvre n’a qu’une seule défense :
sa pauvreté et la condition de besoin dans laquelle il se trouve. Ne lui
demande rien d’autre. Mais que l’homme le plus mauvais du monde, s’il
manque de la nourriture nécessaire, soit libéré de la faim. [...]
L’homme miséricordieux est un port pour ceux qui sont dans le besoin :
le port accueille et libère du danger tous les naufragés ; qu’ils soient
malfaiteurs, bons ou qu'ils soient en danger, le port les met à l’abri à
l’intérieur de sa crique. Toi aussi, donc, quand tu vois un homme sur
la terre qui a fait le naufrage de la misère, ne juge pas, ne lui
demande pas compte de sa conduite, mais libère-le du malheur. » (Discours sur le pauvre Lazare, II, 5).
9. Il est décisif d’accroître notre sensibilité afin de comprendre
les besoins des pauvres, toujours en mutation comme le sont les
conditions de vie. Aujourd’hui, en effet, dans les régions du monde
économiquement plus développées, on est moins disposé que par le passé à
faire face à la pauvreté. L’état de bien-être relatif auquel on s’est
habitué rend plus difficile l’acceptation des sacrifices et des
privations. On est prêt à tout pour ne pas être privé de tout ce qui a
été le fruit d’une conquête facile. On tombe ainsi dans des formes de
rancune, de nervosité spasmodique, de revendications qui conduisent à la
peur, à la détresse et, dans certains cas, à la violence. Ce n’est pas
le critère sur lequel construire l’avenir; et pourtant, ce sont aussi
des formes de pauvreté dont on ne peut détourner le regard. Nous devons
être ouverts à lire les signes des temps qui expriment de nouvelles
façons d’être évangélisateur dans le monde contemporain. L’assistance
immédiate pour aller à la rencontre des besoins des pauvres ne doit pas
empêcher d’être clairvoyant pour réaliser de nouveaux signes de l’amour
et de la charité chrétienne, comme réponse aux nouvelles pauvretés que
l’humanité d’aujourd’hui expérimente.
J’espère que la Journée mondiale des pauvres, qui en est à sa
cinquième célébration, pourra s’enraciner de plus en plus au cœur de nos
Églises locales et provoquer un mouvement d’évangélisation qui
rencontre en premier lieu les pauvres là où ils se trouvent. Nous ne
pouvons pas attendre qu’ils frappent à notre porte, il est urgent que
nous les atteignions chez eux, dans les hôpitaux et les résidences de
soins, dans les rues et les coins sombres où ils se cachent parfois,
dans les centres de refuge et d’accueil... Il est important de
comprendre ce qu’ils ressentent, ce qu’ils éprouvent et quels désirs ils
ont dans leur cœur. Faisons nôtres les paroles pressantes de Don Primo
Mazzolari: « Je vous prie de ne pas me demander s’il y a des pauvres, qui ils sont et combien ils sont, parce
que je crains que de telles questions ne représentent une distraction
ou un prétexte pour s’éloigner d’une indication précise de la conscience
et du cœur. [...] Je ne les ai jamais comptés, les pauvres, car on ne
peut pas les compter : les pauvres s’embrassent, ils ne se comptent
pas » (Adesso n. 7, 15 avril 1949). Les pauvres sont au milieu
de nous. Comme ce serait évangélique si nous pouvions dire en toute
vérité : nous sommes pauvres, nous aussi, et c’est seulement de cette
manière que nous réussissons à les reconnaître réellement et les rendre
partie intégrante de notre vie et instrument de salut.
Donné à Rome, Saint Jean de Latran, 13 juin 2021, en la mémoire de Saint Antoine de Padoue.
François
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