Frédéric Lenoir, dans un livre très clair de 220 pages (« Le
miracle Spinoza », Fayard, 2017), nous présente ce philosophe et ses
oeuvres philosophiques qui peuvent nous intéresser encore aujourd’hui, après
plus de 3 siècles. Car les questions qu’il y aborde sont toujours d’actualité.
Baruch Spinoza est un juif d’origine portugaise, dont la
famille a émigré aux Pays Bas au début du XVII° siècle. Ce pays était alors une
République, probablement la plus ancienne d’Europe. Ses parents étaient
commerçants. A Amsterdam, Baruch rencontre Descartes, philosophe français, qui
l’initie à sa démarche philosophique basée sur la raison. Puis Baruch s’éloigne
de Descartes et vole de ses propres ailes. Dans cette république hollandaise
des Sept Provinces, Baruch se heurte à la religion juive dans laquelle il est
né. Petit à petit il est exclu de la synagogue à cause de ses positions critiques vis à vis de cette religion. Il en sera
de même vis à vis de la religion Catholique de ses amis hollandais, commerçants
ou personnages politiques.
Contrairement à ce qui a été dit parfois, Spinoza n’est pas
athée. Il critique surtout dans ses écrits la pesanteur de ces deux religions
qui contrôlent assez fermement la vie publique et la vie privée des européens
de son temps. Il critique également la lecture fondamentaliste des Ecritures
Saintes et les miracles. Lui ne nie pas Dieu, mais, en bon philosophe, il le «
définit » comme « substance » à la fois matérielle (la Nature) et spirituelle (la pensée
rationnelle)… (?).
Son Dieu est éternel, mais ni Créateur (car le monde a
toujours existé), ni une personne ; a fortiori ni Trinité. Pour lui, Dieu ne
fait pas de miracles mais, comme « pensée
universelle », il peut inspirer les hommes. Si
Spinoza critique beaucoup le Judaïsme et le Christianisme, il est encore plus
sévère envers l’Islam – alors qu’à cette époque cette religion était
pratiquement absente de l’Europe - . Toutefois Spinoza respecte et admire
beaucoup Jésus Christ. Selon lui il n’est pas Dieu, et il n’est pas réssuscité.
Mais il écrit que : « le Christ est la voix de Dieu », qu’il « communiquait
même avec Dieu d’esprit à « esprit ».
D’ailleurs, le Christ, lui-même, a fait beaucoup de reproches aux juifs
religieux de son temps. Et il s’est montré libre face à la religion juive et au
pouvoir théocratique. Il a demandé à ses disciples de ne pas juger, de se
respecter et s’aimer les uns les autres. Son message a été et est toujours
universel.Le Christ a donc réalisé pleinement l’idéal de la « morale naturelle
» : ne faites pas à autrui ce que vous n’aimeriez pas que l’on vous fasse. La
devise de Baruch était : « ne pas
se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre ».
Dans le journal « La Croix » du 23 décembre
dernier, je venais de lire un bel article du Père Bonino, théologien : « Noël, remède à nos fausses images de Dieu », lorsque j’ai ouvert le livre de Frédéric Lenoir. Bonino
constatait que si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme, de son côté, est
(toujours) tenté de faire Dieu à sa propre image… Soit le chrétien se fait de
Dieu l’image d’un Dieu, lointain, tout-puissant, juge suprême, comptable,
gendarme, qui fixe des lois et attend de l’homme l’obéissance et la soumission.
Soit le chrétien, au contraire, se fait l’image d’un Dieu consolateur, protecteur,
bienveillant, qui va faire des miracles et résoudre tous nos problèmes. « La crèche, elle, nous révèle d’autres réalités : la
vulnérabilité, la fragilité, un Dieu persécuté dès la naissance » écrit Bonino.
La grande tentation des chrétiens est de
s’accrocher aux images qu’ils se font de Dieu. Or la seule image (icône, comme
l’écrit Saint Paul), c’est le Christ. Bonino cite aussi le bénédictin, Michael
Davide Senorano : « nous
avons du mal à croire en un Dieu qui nous fait confiance, car la confiance est
toujours responsabilité et liberté ».
Spinoza, lui aussi, s’est en quelque sorte créé un Dieu à
son image, un Dieu qui n’est que raison. Frédéric Lenoir ne partage pas cette
vision de Spinoza : le rationalisme absolu ne peut tout expliquer. C’est
d’ailleurs ce que Benoît XVI avait précisé au cours de son pontificat. Il faut
donc accepter que Dieu soit mystère, transcendance. Comme le disait Monseigneur
Aveline, évêque coadjuteur de Marseille, lors d’une conférence donnée à Tours
en 2015 : « Dieu se révèle libre d’emprunter une multitude de chemins pour rejoindre
les hommes. ».
Et, enfin, je ne résiste pas à
évoquer ici la pensée intime de Jean d’Ormesson qui nous a quittés en cette fin
de 2017 : « Dieu est un mystère lumineux qui
prend sur lui tous les mystères et toutes les souffrances des hommes pour les
changer en espérance » (Guide des égarés, 2016, NRF).
Cependant nous pouvons retenir cette belle devise de Spinoza
: « ne pas provoquer, ne pas se
lamenter, ne pas détester, mais comprendre »
; conviction que peuvent partager facilement les chrétiens.
Bernard Leclercq
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