« Que signifie "aller vers le Père" ? » écrit Josselin, 19 ans. « Est-ce
que les Juifs, Musulmans ou encore toutes personnes ayant une vie
spirituelle (bouddhistes, etc.), ne vont pas aussi vers le Père d’une
certaine manière ? Je suis tenté de penser que toute personne qui a une
vie spirituelle tournée vers la recherche du Bien, de la Paix, de la
Vie, va vers le Père. Alors qu’est-ce qu’une "vie spirituelle" ? » C’est
l’abbé Pierre Amar qui lui répond. Vous pouvez envoyer vos questions à
pourquoipadre@ktotv.com.
* * * * * * *
« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si
l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre
toute espèce de vie intérieure. »
Georges Bernanos, La France contre les robots (1947)
- La méditation ? Je
te conseille de simplifier tous tes livres, de te remplir un peu moins,
tu verras que cela est bien meilleur. Prends ton Crucifix, regarde,
écoute. Tu sais que c'est là notre rendez-vous, et puis ne te trouble
pas quand tu es prise comme maintenant et que tu ne peux faire tous tes
exercices : on peut prier le bon Dieu en agissant, il suffit de penser à
Lui. Alors tout devient doux et facile, puisque l'on n'est pas seul à agir [et] que Jésus est là.
Bse Elisabeth de la Trinité
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Les sept étapes de la vie mystique selon Thérèse d’Avila
Par sa présence, Dieu veut révéler notre vrai désir d’aimer. Thérèse d’Avila nous montre comment Il conduit notre vie spirituelle à travers l’expérience de sept traversées successives. Progressivement, nous sommes rendus plus libres pour aimer et communier à son désir de sauver tous les hommes.
Au
terme de son parcours spirituel, Thérèse d’Avila compare notre âme — où
Dieu demeure — à un château. Dans son livre Le Livre des Demeures ou Le
Château intérieur, elle écrit en 1577 l’expérience du « mariage
spirituel » vécu en 1572. Ses demeures correspondent à quatre citations
bibliques. Elle y décrit avec précision chacune des étapes de la
croissance de la vie spirituelle en détaillant davantage les dernières
étapes qui correspondent à des réalités moins claires pour ses lectrices
(ses propres sœurs carmélites). Elle écrit tout cela après être arrivée
à sa pleine maturité spirituelle et avoir reçu la grâce de traverser
toutes les « demeures ».
Du chemin vers Dieu à la vie de Dieu en nous
Les
premières demeures vont permettre approfondir la vie spirituelle
comprise comme un chemin vers Dieu, puis, à partir des cinquièmes
demeures il y aura comme un renversement qui se fait où nous percevons
notre vie comme la vie de Dieu en nous. Dieu fait alors vivre
l’expérience que saint Paul décrit en ces termes : « Ce n’est plus moi
qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20). Une conscience
nouvelle de la relation à Dieu nous habite. Sur ce chemin spirituel, les
premières demeures sont le lieu de transformation de nos relations :
dans la deuxième demeure, la relation au monde ; dans la troisième, la
relation à soi-même ; dans la quatrième, la relation à Dieu. Nous allons
ainsi de ce qui est le plus extérieur, le monde, à ce qui est le plus
intérieur en nous : Dieu.
Précision importante :
passer d’une demeure à l’autre est toujours une aventure, un
cheminement, mais ce n’est pas nous qui choisissons le passage d’une
demeure à l’autre d’une manière stable sur notre agenda spirituel. C’est
Dieu qui nous découvre une profondeur plus grande, quand il veut, comme
il le veut. Deuxième précision importante, avant d’entrer dans la
description des thématiques des demeures : nous pouvons recevoir des
effets spirituels des demeures plus profondes en vivant de manière
stable dans une demeure moins profonde. Il est tout à fait possible
d’avoir des avant-goûts de ce qui nous habite déjà, car, dès le départ,
les sept demeures sont en nous, puisque Dieu est en nous. Dieu peut donc
nous donner des goûts, des expériences des quatrièmes et des cinquièmes
demeures, alors que nous sommes toujours dans les deuxièmes ou
troisièmes. Mais ce n’est pas la même chose d’expérimenter ces
avant-goûts et de vivre de manière stable dans une demeure. Le passage
d’une demeure à l’autre est toujours un moment essentiel qu’il nous est
donné de discerner plus ou moins rapidement.
1 LES PREMIÈRES DEMEURES :
LE PORCHE DE LA VIE SPIRITUELLE
Les
premières demeures sont le porche de la vie spirituelle et le fondement
de tout ce qui va suivre. Ce sont les fondations : les premières
demeures jalonnent un parcours où s’approfondit cette conscience
quotidienne de ce que nous sommes, de notre dignité, de notre gloire qui
est d’être la demeure d’un autre : la demeure de Dieu. Le porche
d’entrée de la vie spirituelle c’est donc de commencer à s’accueillir
soi-même comme l’œuvre de Dieu, comme la demeure de Dieu et elle fonde
tout l’itinéraire spirituel dont elle va parler sur quatre citations
bibliques.
Thérèse
utilise tout d’abord cette citation biblique assez connue : « Dans la
maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (Jn 14, 2). Nous
pourrions comprendre que nous allons vers les nombreuses demeures du
ciel, mais pour Thérèse ces nombreuses demeures sont en chacun. Les
demeures de la maison du Père sont en chaque personne. La deuxième
citation biblique est : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ;
mon père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous
ferons une demeure » (Jn 14, 23). Elle résume d’une certaine manière
l’itinéraire spirituel que nous allons décrire, qui commence par une
décision, une progression et une action de Dieu qui se manifeste et
s’unit à l’âme.
Les deux autres
citations viennent de l’Ancien Testament. Celle du Livre des Proverbes
(8, 31) : « Dieu trouve ses délices parmi les enfants des hommes » dit
que le paradis de Dieu, c’est l’homme et que c’est la personne humaine.
Nous n’allons pas au paradis : nous sommes le paradis de Dieu. C’est une
inversion totale. Nous n’allons pas au paradis : c’est Dieu qui fait de
notre personne, de la relation avec nous, son paradis. Donc le paradis
pour Dieu, c’est une relation vivante. Thérèse voit enfin que si Dieu
nous créa « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1, 26), c’est
justement pour que nous trouvions notre joie à l’accueillir en nous.
Thérèse s’émerveille devant cette affirmation : voilà le signe que nous
sommes faits pour l’amour et pour un amour aussi grand que celui de
Dieu.
L’entrée dans la vie spirituelle
L’entrée
dans la vie spirituelle est un choix, une décision. C’est très positif,
mais ce n’est pas forcément facile à vivre. Il faut décider d’entrer
dans une perception renouvelée de nous-mêmes et croire que nous sommes
la demeure de Dieu. L’entrée dans ces premières demeures est
essentielle, car il y a évidemment le risque inverse. Si nous nous
opposons et que nous refusons de nous engager, de croire à cette gloire
de l’homme, à cette grandeur de l’homme, à cette beauté que nous avons, à
cette présence de Dieu en nous, alors nous nous trouvons dans une
misère terrible. L’homme oublie alors ce qu’il est et vit à l’extérieur
de ce qu’il est en réalité, à l’extérieur de cette présence d’un Dieu
qui veut nous ouvrir au don qu’il veut nous faire.
"La pire des misères chez sainte Thérèse d’Avila, c’est de vivre sans Dieu ou d’imaginer que nous faisons le bien sans Dieu"
La pire des misères chez sainte Thérèse d’Avila, c’est
de vivre sans Dieu ou d’imaginer que nous faisons le bien sans Dieu.
Faire le bien sans Dieu, comme elle dit, c’est faire plaisir au démon.
Paradoxalement le péché le plus grave pour elle, ce n’est pas tellement
d’avoir des faiblesses, des limites. Elle ne les encourage pas bien sûr,
elle nous invite aussi à nous engager pour combattre les faiblesses de
la vie quotidienne et nous corriger avec la grâce de Dieu, mais le pire
pour elle c’est de ne pas reconnaître le bien, le bon et le beau en nous
et chez les autres comme une réalité qui a sa source en Dieu. Nous
pourrions dire, bien qu’elle ne le dise pas explicitement — mais à bien
la lire c’est ce que l’on comprend — que le péché mortel, c’est de vivre
sans Dieu, de faire le bien sans Dieu.
Les quatre fruits des premières demeures
Les
quatre fruits des premières demeures vont mûrir tout au long de notre
chemin spirituel. Les fruits de cette entrée dans le Château, de cette
mise en relation avec Dieu en sa présence dans notre vie quotidienne,
nous les trouvons décrits au deuxième chapitre des premières demeures.
Il y en a quatre. Thérèse les décrit dès le départ : ces fruits vont
mûrir tout au long du chemin à travers les sept demeures du château.
La liberté.
L’exercice le plus haut de notre liberté, c’est justement d’accueillir
cette présence de Dieu, de reconnaître ce que nous sommes, c’est-à-dire
créés « à son image ». La prière sous toutes ses formes est un
engagement de la liberté, puisque pour Thérèse la prière consiste à se
tourner vers Dieu, à cultiver notre relation avec Dieu. Il faut la vivre
évidemment dans différents lieux et de différentes manières dans notre
quotidien. Thérèse insiste évidemment beaucoup sur la prière silencieuse
dont un des fruits consiste à recevoir notre vie comme le lieu concret
où nous devons vivre notre relation à Dieu.
L’humilité,
ce n’est pas l’humiliation : c’est la reconnaissance que nous sommes
les bénéficiaires du don de Dieu en permanence et pour tout et pas
seulement ce qui concerne le spirituel. Nous sommes créés, nous recevons
énormément de choses tout au long de notre journée, aussi bien
l’alimentation que les relations avec les autres, ce que l’on a pu
apprendre, nos compétences, les réalités naturelles, culturelles,
spirituelles, etc. L’humilité c’est avant tout la reconnaissance de fond
que notre existence est un don de Dieu. L’image, le modèle de la
personne profondément humble, c’est évidemment Jésus qui accueille toute
sa vie comme un don de son Père.
Le détachement
ne veut pas dire que nous vivons sans rien. Cela veut dire que nous
modifions notre relation aux choses et aux personnes qui peuvent souvent
être d’une certaine manière parfois captatrices ou dominatrices. Le
détachement fait passer à une plus grande liberté dans la relation aux
choses et aux autres mais aussi à tous les biens intellectuels,
spirituels et même aux vertus morales. Le détachement est lié à
l’humilité : nous nous situons moins comme un propriétaire et nous avons
beaucoup moins besoin d’un rapport possessif aux réalités. Tout cela va
s’approfondir durant tout le parcours.
La charité
est à la fois le but final et le chemin essentiel. Il s’agit de laisser
Dieu nous apprendre à aimer. Et l’amour a deux directions qui sont
unies : l’amour de Dieu et l’amour des autres.
2 LES DEUXIÈMES DEMEURES : LA PURIFICATION
Dans
les deuxièmes demeures, nous nous engageons sur ce chemin de la vie
spirituelle qui va forcément révéler en nous plein d’attachements, plein
de compromis, plein de faiblesses. Nous nous attendions à recevoir
plein de consolations et nous nous rendons compte que nous sommes un
champ de bataille. Nous pourrions faire un parallèle entre le livre des
demeures et le livre de l’Exode : les Hébreux sortent d’Égypte et ils
s’attendent à entrer en Terre sainte tout de suite. Ils se retrouvent
dans un désert. Ils se retrouvent confrontés à leurs difficultés et
doivent choisir de faire confiance à Dieu. C’est bien ce qui se passe
dans ces deuxièmes demeures. Comme les Hébreux conduits par Moïse, nous
pouvons regretter parfois notre ancien esclavage sans pouvoir ni vouloir
vraiment y revenir, car maintenant nous sommes conscients de
l’esclavage passé. Avant, nous étions un esclave inconscient mais
maintenant nous sommes devenus un esclave conscient. Il reste que nous
sommes tiraillés : nous sommes comme entre deux chaises. Un combat nous
habite.
L’arme libératrice
Ce
qui va pouvoir nous aider à avancer, c’est le Christ qui dans son
humanité a assumé tout cela. Il a assumé toute la réalité humaine et
donc l’arme à utiliser, c’est de croire à la force, à la puissance du
mystère pascal du Christ, de sa croix. La croix du Christ nous rend
libre. « C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés », dit saint
Paul dans l’épître aux Galates (Gal 5,1). Même si nous avons des des
épreuves, même si ce n’est pas forcément facile, il faut consentir dans
la prière à la sécheresse, à des difficultés. Moïse qui s’adresse aux
Hébreux dans cette situation leur dit : « Tenez ferme, le Seigneur
combattra pour vous, vous, vous n’aurez qu’à rester tranquilles », alors
qu’en fait nous avons envie de tout sauf de rester tranquille ! Le
combat, c’est croire que nous ne combattons pas seuls et que c’est
surtout le combat du Christ en nous et qu’il faut se confier à lui,
parce que lui seul peut être vainqueur de ce combat. Ce qui dépend de
nous, c’est de nous orienter vers lui le plus souvent possible et de
choisir de lui faire confiance.
3- LES TROISIÈMES DEMEURES : LA CLARIFICATION
Nous
avons souvent une image de nous-même et surtout un rapport à ce que
nous faisons qui ne sont pas justes. Le Seigneur nous a fait entrer dans
les troisièmes demeures. Il y a donc déjà des premiers fruits positifs :
nous avons commencé à mettre notre foi en Dieu, nous l’avons fait de
manière persévérante, tout en expérimentant nos fragilités et cela a
déjà produit des fruits dans notre existence, même si évidemment tout
est loin d’être accompli. Nous risquons de se comporter comme le jeune
homme riche : nous commençons à bien faire, nous faisons des efforts,
mais nous risquons de ne pas supporter de ne pas se voir reconnu, aussi
bien extérieurement qu’intérieurement notamment dans la prière (nous
avons du mal à accepter les sécheresses, les tentations, les
distractions).
Nous courons le
risque d’être comme ce jeune homme riche qui a bien commencé, mais qui
s’en va finalement tout triste. De la même manière, nous attendions que
les fruits que le Christ a portés en nous avec notre active
collaboration nous permettent de recevoir des récompenses de Dieu au
niveau spirituel, nous voudrions que Dieu nous distribue des
consolations, mais les choses se passent différemment et le problème
c’est que nous en venons à nous plaindre. Nous nous plaignons de
nous-mêmes, parce que l’on voudrait être saint en quinze jours, nous
ressentons comme des injustices les difficultés et nous imaginons que
c’est vraiment par nos mérites que nous servons le Seigneur, que nous
prions. C’est subtil, parce que si nous nous attribuons à nous-mêmes les
premiers résultats, nous nous étonnons que cela ne se continue pas
toujours ainsi.
Se reconnaître comme « serviteur quelconque »
Il
faut reconnaître ici que nous sommes « des serviteurs quelconques » (Lc
17,7-10) et que tout ce que le Seigneur a déjà fait en nous est une
grande grâce qu’il nous a faite. Ce n’est sûrement pas un mérite de
notre part pour lequel nous pourrions être payés de retour. Sans parler,
bien sûr, du risque de comparaison avec les autres, que l’on risque de
regarder de haut en leur disant ce qu’ils devraient faire. Bref, nous
risquons de nous ériger comme juges insatisfaits. Ces troisièmes
demeures, qui mettent en lumière des travers assez classiques chez les
chrétiens, voire même aussi chez les religieux, c’est de sortir de
l’orgueil spirituel et d’un rapport mal situé à soi-même et aux autres,
le contraire du serviteur humble et quelconque qui reconnaît recevoir
tout de Dieu et qui vit pour lui rendre grâce. Il s’agit notamment de
recevoir ce qu’il nous donne de faire à son service comme un don. Car ce
que nous faisons à son service, c’est lui qui nous donne de le faire.
Et, bien souvent, le Seigneur récompense ses bons serviteurs en leur
donnant de servir davantage ou plus profondément, qualitativement.
LES QUATRIÈMES DEMEURES : L’APPROFONDISSEMENT
Les
quatrièmes demeures s’appuient sur les beaux fruits que nous récoltons
dans des troisièmes demeures, c’est-à-dire le fait que nous nous
considérons bien davantage comme un serviteur de l’amour. Aimer pour
aimer, voilà la seule vraie récompense. Nous acceptons désormais les
aridités dans la prière, nous considérons que nos vertus ne sont pas les
nôtres, que nous sommes peut-être vertueux en effet, réellement
vertueux, mais que c’est vraiment Dieu qui est la source de nos vertus
et donc nous sommes devenus beaucoup plus libres par rapport à
nous-mêmes et par rapport aux grâces de prière reçues dans la vie de
prière. Le fruit en est une plus grande dilatation du cœur. Nous sommes
en eaux plus profondes, mis au large.
Une grande paix
Une
grande paix s’instaure progressivement dans les profondeurs de l’âme.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vagues au-dessus, mais
s’établit de manière assez constante une paix profonde en présence de
Dieu. Nous sommes vraiment certains que ce ne sont pas nos propres
efforts qui apportent cette paix, il n’y a pas de techniques de prière
ou de concentration qui ferait que l’on arriverait à obtenir ces grâces.
S’approfondit une attitude de pauvreté spirituelle, nous reconnaissons
que Dieu donne tout et notre regard vers lui est bien établi, bien
profond. Cela instaure un état assez permanent de reconnaissance et
l’état de grâce envers Dieu à partir de tout. Notre esprit et nos
pensées peuvent parfois s’évader, mais assez vite nous retournons à
cette attitude reconnaissante et humble.
La
confiance, l’humilité et la reconnaissance sont des réalités qui sont
vécues de plus en plus profondément. Nous avons fait l’expérience de la
bonté libératrice de Dieu, là s’approfondit l’accueil reconnaissant,
dans la louange et l’action de grâce, de cette bonté de Dieu. Car ce
qu’il approfondit, de demeures en demeures, c’est la conscience concrète
que Dieu est bon. Ce n’est pas simplement une chose que nous affirmons,
mais nous en faisons l’expérience.
5 LES CINQUIÈMES DEMEURES : LE BASCULEMENT
L’entrée
dans les cinquièmes demeures marque un basculement : nous ne passons
pas des quatrièmes au cinquièmes demeures comme nous passons des
secondes aux suivantes. Dans les premières demeures, nous expérimentons
son chemin en le percevant surtout comme une avancée vers Dieu mais
désormais nous allons expérimenter la vie de Dieu en nous. C’est une vie
nouvelle qui commence. Nous sommes toujours sur la terre, nous n’avons
peut-être pas changé de travail, nous pouvons être marié, avoir des
enfants, posséder plein de choses et ce n’est pas forcément
extérieurement qu’il y a des choses qui bougent même si parfois cela
peut se passer dans ces domaines-là. Dieu a toujours été vivant en nous
depuis le début de notre vie, mais maintenant une nouvelle réalité
s’installe.
« Ce n’est plus moi qui
vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20) : quand cette parole
de Dieu s’accomplit et devient une réalité profonde en nous, nous sommes
tout d’un coup beaucoup plus libres à l’égard du monde, de nous-mêmes
et dans nos relations à Dieu, car désormais le Seigneur a beaucoup plus
de liberté d’action en nous. Il peut nous donner plus profondément, car
dire que Dieu est vivant en nous, cela veut dire que nous nous donnons.
Dieu est don de lui-même. Et qu’est-ce qu’il va nous donner de plus en
plus ? Il va nous donner de nous donner.
Le don gratuit de l’amour certain
Dieu
nous donne de pouvoir nous donner de plus en plus. Jusqu’à présent
notre confiance en Dieu était perçue comme un combat. Pour le dire
négativement, je choisissais de ne pas douter de Dieu et de son amour.
Cela est un combat qui parfois n’a rien d’évident de ne pas douter. Dans
les cinquièmes demeures, Dieu donne gratuitement la certitude profonde
de son amour.
Il devient de plus en
plus impossible de douter de Dieu et de son amour : cette conviction de
fond qui unifie notre être nous est donnée. Ce n’est pas le résultat de
nos efforts. Nous recevons de Dieu une qualité de certitude complètement
nouvelle. Cela change la vie de manière radicale. Cette réelle
conviction intérieure est une conviction d’amour et n’a rien à voir avec
de la violence ou du fanatisme. Donc nous avons traversé tout un chemin
qui nous a beaucoup libérés de nous-mêmes et qui a surtout développé en
nous la confiance en Dieu. Notre confiance en Dieu voit ici son fruit
le plus mûr et Dieu nous donne de percevoir son amour et d’en vivre plus
pleinement, si bien qu’il n’est plus possible de douter de cet amour de
Dieu.
Un désir d’aimer sans sécurité
L’entrée
dans les cinquièmes demeures opère la transformation profonde de notre
mode d’existence qui libère en nous un désir d’aimer bien plus profond.
Thérèse d’Avila compare cette transformation à celle d’un ver à soie
transformé en papillon blanc après être passé par l’étape du cocon. Le
ver à soie voit son univers changer profondément : il mangeait des
feuilles de mûriers et il faisait du fil dans un univers très réduit et
tout d’un coup il va devenir un petit papillon, mais dans un contexte
totalement différent puisqu’il vole dans l’air. C’est beaucoup plus
large mais beaucoup moins sécurisant : plus l’Esprit agit en nous, plus
nous nous sentons par nous-mêmes pauvres et ne pouvant pas nous appuyer
sur nos anciens appuis. C’est l’amour qui nous fait vivre, l’amour de
Dieu est en nous, il nous fait voler, mais comme entre ciel et terre.
Nous percevons alors la vie, les autres de manière radicalement
différente.
"Le combat de l’amour n’étant pas le nôtre, il faut le remettre sans cesse à Dieu"
L’amour
de Dieu, l’amour des autres : parfois nous nous demandons vers où il
faut aller. La vie est complètement nouvelle : nous sommes libérés de
nous-mêmes, nous ne nous portons plus nous-mêmes. Le combat de l’amour
n’étant pas le nôtre, il faut le remettre sans cesse à Dieu.
Intérieurement, nous ne sommes plus comme dans les premières demeures,
avec encore bien des attaches qui permettent de se tenir, de se
sécuriser, de contrôler. Nous découvrons dans tout le parcours combien
nous tenions à de nombreuses sécurités. Là, nous sommes quasiment mis à
nu. L’amour nous décentre et nous révèle aussi notre fragilité, notre
vulnérabilité, ce qui permet à cet amour de passer.
6 LES SIXIÈMES DEMEURES :
LES « FIANÇAILLES SPIRITUELLES » Suit
une partie du livre de sainte Thérèse d’Avila assez déconcertante pour
un esprit moderne. C’est en plus la partie la plus longue du livre. En
résumé, les cinquièmes demeures ont libéré en nous ce que nous sommes
vraiment, notre vrai désir, qui est le vrai désir de l’homme : aimer et
être aimé. La confiance en Dieu et le désir d’aimer nous animent
profondément. Comme pour des fiançailles humaines, il s’agit que s’opère
l’apprentissage du véritable amour : c’est le Christ qui est notre
maître d’amour. Tout est au service ici de cet apprentissage de l’amour.
Cela est bien présent dans les demeures précédentes mais ici tout est
vécu comme une occasion de laisser le Christ nous apprendre à aimer,
pour aller plus loin et plus profondément dans l’expérience de ce qu’est
véritablement aimer. Nous sommes ici bien plus conscients qu’auparavant
que la vocation humaine est d’être « serviteur ou servante de l’amour
». Comment grandit l’amour
Pour approfondir notre relation
avec le Christ, Dieu va en bon pédagogue intensifier notre désir de lui.
Cela se caractérise par l’alternance de grandes disettes, d’impressions
de pauvreté, de vide et d’abandon, alternant avec au contraire des
périodes marquées par un désir enflammé d’amour. Sainte Thérèse propose
apparemment tout un catalogue de grâces mystiques : rapts dans l’esprit,
visions imaginaires, visions intellectuelles, etc. Elles sont classées
par ordre croissant d’intensité, autrement dit selon l’intensité des
fruits qu’elles portent. Il y a alternance entre les souffrances d’une
l’absence ressentie, qui attisent le désir de Dieu. Si nous n’avions pas
le désir de Dieu la souffrance de son absence serait nulle, mais plus
nous avançons plus l’absence ressentie de Dieu ressemble à un enfer. Le
Seigneur permet que nous expérimentions la souffrance de son absence
pour élargir encore plus notre désir de recevoir son amour et de
l’aimer.
Dans l’épreuve revenir à l’humanité du Christ
Ce
temps de fiançailles spirituelles s’apparente dans les évangiles aux
temps d’apparitions et de disparitions du Ressuscité avant l’Ascension.
Le Ressuscité est toujours présent mais les disciples perçoivent cette
présence bien différemment. Il y a des moments où c’est la joie de la
rencontre, puis vient la souffrance de son absence : c’est Jésus qui
décide d’apparaître comme il le veut, à qui il veut comme il veut, tout
cela pour éveiller et faire grandir la confiance et l’amour de ses
disciples, quoi qu’il arrive.
Dans
le chapitre central des sixièmes demeures, Thérèse est tentée de vouloir
dépasser l’humanité du Christ, mais elle nous dit combien c’est une
erreur et qu’il faut au contraire y revenir très souvent, car nous
recevons vraiment tout dans le Christ incarné. Il faut donc bien au
contraire s’attacher fermement à l’humanité du Christ.
7 LES SEPTIÈMES DEMEURES : LE « MARIAGE SPIRITUEL »
Nous
entrons dans les septièmes demeures : il n’y a que quatre chapitres
dans cette partie du livre, mais ils évoquent le but de tout ce que nous
avons déjà vécu par étapes pour arriver à l’union à Dieu. C’est le
terme du chemin pour tous et il faut insister sur un point : Dieu n’a
pas créé les hommes pour qu’ils s’arrêtent aux troisièmes, quatrièmes,
cinquièmes ou aux sixièmes demeures. Seuls quelques élus atteindraient
les septièmes. Tout le chemin est pour tout le monde. Tout le monde peut
lire le Livre des demeures et pourquoi ne pas lire ces quatre chapitres
dès le début ? Ils éclaircissent en effet le but vers lequel Dieu veut
nous conduire. Le ciel, c’est-à-dire la vie avec Dieu, n’est pas et ne
sera jamais une réalité statique ; elle est toujours dynamique, comme
l’exprime si bien Grégoire de Nysse : elle va « de commencement en
commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin ». Dans la
relation à Dieu, nous continuerons d’aller sans cesse de crescendo en
crescendo et d’expérimenter une union à Dieu toujours plus unitive.
"L’amour est concret, universel, il est divin. Dieu aime tout le monde. La bonne nouvelle : Dieu aime les pécheurs"
Ce
mariage spirituel, qui fut accordé à Thérèse le 18 novembre 1572, est
l’alliance avec Dieu autant qu’il est possible de le vivre dans une vie
terrestre. Thérèse utilisait l’image du mariage qui reste une image
limitée, mais qui exprime quelque chose de la profondeur de la communion
et aussi de l’aspect définitif de cette union. Pour elle, cela s’est
passé 18 novembre 1572 : ce jour-là, elle reçoit une vision du Christ
qui lui tend un clou de sa Passion, en lui disant que désormais son
honneur était celui de Thérèse et que celui de Thérèse était sien.
Qu’est-ce que c’est, l’honneur de Jésus ? C’est le salut du monde !
Jésus a été crucifié, est ressuscité et glorifié dans le but de sauver
tous les hommes. « L’honneur de Jésus » ce n’est pas seulement d’être le
Fils du Père, c’est de sauver, de mettre en œuvre le salut pour chacun.
Thérèse y est associée.
Participer au désir de Dieu de sauver tous les hommes
Quand
nous vivons aux septièmes demeures, nous ne nous préoccupons plus de
savoir si l’on est sauvé. Notre propre Salut ne nous préoccupe plus : ce
qui nous occupe, c’est comme Jésus de donner notre vie pour le salut
des autres. L’union à Dieu c’est cela : une participation profonde au
désir de Dieu de sauver tous les hommes. Paradoxalement les phénomènes
mystiques sont plus rares. Quand nous sommes pleinement unis à Dieu,
nous vivons en permanence avec ce souci, cet horizon du Salut des
autres. C’est un engagement très concret dans l’amour fraternel. C’est
aussi convivial, c’est aussi familial, c’est pour tout le monde :
personne n’est exclu. L’amour est concret, universel, il est divin. Dieu
aime tout le monde. La bonne nouvelle : Dieu aime les pécheurs. Le
principal travail des pécheurs que nous sommes : y croire quoi qu’il
arrive.
Un nouveau désir de vivre
Lorsque
nous sommes ainsi conduits à la fin du voyage, nous pourrions penser
que nous aspirons alors à quitter la vie terrestre le plus vite
possible. Il n’en est rien. Dans les sixièmes demeures, Thérèse disait «
je meurs de ne pas mourir ! » mais aux septièmes, elle reçoit un
nouveau désir de vivre et cela la surprend. Elle expérimente une
réconciliation profonde entre son engagement envers Dieu et ses tâches
terrestres. Le Ciel et la Terre sont comme unis à travers tout. Toutes
les réalités de la vie sont transformées et tout est perçu en Dieu :
soi-même, les autres, les tâches concrètes, etc. Rien n’est négligé.
S’accomplit alors la fameuse dernière invocation de la première partie
du Notre-Père : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
Or la volonté du Père, c’est le salut de toute l’humanité. Et le salut
l’humanité, c’est la foi, la charité, la communion. Là s’opère la
volonté du Père. La seule volonté du Père c’est que nous vivions de son
amour.
Tout cela ne veut pas dire que nous n’avons plus de
problèmes dans la vie concrète. Thérèse continue à vivre une vie humaine
: elle a des problèmes de santé, et d’autres dans bien des domaines.
Quand nous considérons la vie de Thérèse de 1572 à 1582, c’est tout sauf
une partie de plaisir ou du repos. Elle a traversé de nombreuses
réalités concrètes liées à la fondation de monastères, des problèmes
relationnels… Mais une force lui a été donnée pour les assumer : rien ne
peut la freiner, rien ne peut lui faire peur, car elle expérimente en
tout que « Dieu seul suffit ».
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