De l'homme réparé à l'homme transformé, le transhumanisme.
Au fil des siècles, la réparation du
corps humain au moyen de prothèses plus ou moins complexes n'a cessé d'évoluer.
Des simples lunettes au cœur artificiel, des sonotones aux prothèses de hanche,
les exemples sont multiples, et en nombre croissant, de ces dispositifs visant
à corriger ce qui était diminué. Chaque jour de nouvelles annonces laissent
entrevoir des possibilités jusque là inimaginables, telles un pancréas permettant
aux diabétiques d'en finir avec les injections d'insuline ou des stimulateurs
adaptés à certaines formes de la maladie de Parkinson. Des prothèses commandées par la pensée
existeront probablement demain. Quel que soit l'organe considéré, "la réparation du corps humain devient
le terrain de tous les possibles… L'homme réparé est bien une chimère mêlant du
soi et du non-soi, du biologique et du composite" 1.
Cette situation soulève déjà des
interrogations : elle "pose la
question du regard que l'homme pose sur lui-même, de la manière dont il se
conçoit, sujet ou objet … ; l'homme réparé n'est pas un corps remis simplement
à neuf, mais un corps nouveau [qui va modifier] le vécu de celui qui l'habite" 1
Pourtant, aussi performantes que soient
ces techniques, elles visent seulement à soulager un être diminué, à le maintenir
au plus près de la bonne santé. Tel n'est pas le cas des modifications
cherchant à produire ce qui est désormais appelé l'homme augmenté (puis transformé), objet du transhumanisme (ou posthumanisme). Apparu en 1957 sous la plume de
Julian Huxley (frère d'Aldous), puis oublié, le mot de transhumanisme est
réapparu aux USA à la fin des années 90 pour désigner un mouvement prônant
l'usage des sciences et techniques pour "améliorer" les caractéristiques
physiques et mentales des êtres humains.
Les techniques en jeu sont regroupées
sous le sigle NBIC (pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et
sciences cognitives). Leur "grande convergence" qui doit tout
permettre, est attendue pour les années 2030 à 2050. Elles visent, selon la
typologie donnée par Jean-Guilhem Xerri 2:
1) à améliorer les performances
humaines (physiques, cognitives, sensorielles, émotionnelles, et même morales),
2) à s'affranchir peu à peu de la
réalité biologique du corps pour privilégier l'activité cérébrale, connectée à
de supports externes qui restent à définir
3) à développer les robots, de plus en
plus "intelligents", au service de l'homme.
Ce transhumanisme (porté notamment par
l'américain Ray Kurzweil) ne vise rien moins qu'une espèce humaine nouvelle,
quasi immortelle, objet "d'un pacte
fusionnel avec un univers technologique … Dénombrable jusque dans ses ultimes
composantes, ravaudable et guérissable à l'infini, le transhumain s'offre comme
une métacréature en expansion constante … ouverte à toute adjonction
optionnelle et innovation structurelle" 2.
Ces théories sont portées par des
universitaires de renom et soutenues par des moyens financiers considérables
(notamment à travers des subventions de Google aux laboratoires concernés).
Cependant de grands noms du monde
technique tels que Bill Gates commencent à tirer la sonnette d'alarme.
Les questions morales et éthiques
soulevées par le transhumanisme sont évidemment légion : de quel humain
parle-t-on ? Qu'est-ce qui fonde l'humanité ? Qui "profiterait" de
ces transformations ? L'homme peut-il vivre sans se donner de limites ? Que
signifie vivre si la mort n'est pas le terme du chemin ? etc.
Le transhumanisme est, c'est une
litote, à l'opposé de la fragilité chrétienne qui ouvre aux autres et nous fait
grandir en humanité. Centré sur une prolongation irréfléchie de la vie
terrestre, il ignore notre espérance fondamentale de
la résurrection.
Bernard
Sauveur
1
Hervé Chneiwess, L'homme réparé, Plon
2012
2
Jean-Guilhem Xerri, Le transhumanisme,
Documents Épiscopat, 1er septembre 2013
3 François
Angelier, Demain les posthumains, Le
Monde 12 août 2016.
|