l’évangélisation, avec saint Martin comme modèle
Cette première
conférence de Carême se propose de mettre en valeur la figure de Martin de
Tours comme modèle d'évangélisation. L'apôtre des Gaules aurait quelque chose à
dire aux chrétiens du XXIème siècle que nous sommes...
Pour y réfléchir, je
vais dans un premier temps resituer le troisième évêque de Tours dans le
contexte historique de son temps. Le fait même de fêter le dix septième
centenaire de sa naissance nous oblige à prendre en compte l'écart historique.
Nous savons les éléments de la vie de saint Martin tels que Sulpice Sèvère son
contemporain et admirateur nous les relate. Mais, il est toujours essentiel de
situer une figure dans son contexte historique.
Je veillerai ensuite à
poser quelques éléments de l'état de la chrétienté en cette période charnière
du IVème siècle. Nous pourrons ainsi mieux comprendre l'impact du disciple
d'Hilaire en ce siècle où l'Église passe du statut de persécutée à celui de
religion de l'empire.
Enfin, je tenterai de
mettre en valeur des aspects de la mission que saint Martin a vécu avec une
audace dont nous aurions parfois besoin. Le visage de l'Église a été
profondément modelée au cours des siècles et le rapport de l'Église au monde a
pris des formes nouvelles ; il nous revient de puiser, au même Évangile, la
force de renouvellement, en particulier en cette année de la miséricorde.
1-
L'empire romain au IVème siècle
En 316, lorsque Martin
naît aux confins de l'Empire, à Savaria (dans la Hongrie actuelle). Constantin
est empereur depuis trois ans. Celui qui ne sera baptisé qu'à la veille de sa
mort en 337 s'est imposé sur les deux pôles de l'empire romain. Mais le centre
de gravité bascule de Trèves vers l'orient et Byzance l'emporte. Influencé par
sa mère Hélène, Constantin va s'appuyer sur la foi chrétienne qui était jusque
là régulièrement persécutée pour asseoir et fonder son autorité. Avec l'Édit de
Milan, en 313, l'empereur Constantin
impose une liberté religieuse avec restitution des locaux pris aux chrétiens.
Cette tolérance n'est possible que parce qu'elle ne fragilise pas les piliers
du pouvoir. Il se trouve que l'Eglise est traversée par de profondes divisions
autour de la question de la divinité du Christ-Jésus. À Alexandrie, l'un des
sièges apostoliques (avec Rome et Antioche), une doctrine apparaît pour
sauvegarder la transcendance du Dieu unique. Les évêques se partagent entre
tenants et opposants à la doctrine d'Arius, Constantin convoque un concile
général des évêques de l'empire à Nicée en 325. Sur les 250 participants, il
n'y avait qu'une poignée d'occidentaux !
Ce souci d'unité est
indispensable autant pour garder la cohésion d'un empire qui fait le tour de la
méditerranée que face aux invasions barbares qui menacent les frontières du
Nord. La succession de Constantin fut difficile et sanglante. En 355, le jeune
Julien, qui a renié la foi chrétienne, est nommé César de Gaule. De 361 à 363
il régna comme empereur et laissa sa marque dans la tradition chrétienne comme
Julien l'Apostat. En 364, les Alamans envahiront la Gaule et en 378, les Goths
seront vainqueurs des romains. L'empereur Théodose fera, en 380, de la religion
chrétienne la religion officielle de l'empire. En 381, le concile de
Constantinople se déroulera, convoqué par Théodose, avec 150 évêques, tous
orientaux. Confirmant Nicée, il travaillera la question du Saint Esprit. Mais
l'empire est fragilisé et en 386, les ostrogoths envahissent la Phrygie.
L'empire est séparé en deux (Orient et Occident) à la mort de Théodose en 395. Avec
le passage du Rhin en 406 et l’irruption
des Vandales
et des Suèves
dans l’empire on assiste à l’écroulement lent mais inexorable de
l’administration impériale à l’Ouest, ce qui conduira à la déposition du
dernier empereur occidental, alors qu’à l’Est les structures de l’empire,
quoiqu’affaiblies par les guerres menées contre d’autres envahisseurs,
tiendront bon. Le sac de Rome a
lieu en août 410.
Les Wisigoths
conduits par Alaric Ier prennent et pillent Rome,
qui n’avait pas été prise depuis 390 av. J.-C.
Pour les historiens, nous passons alors de la fin de l’Antiquité au Haut Moyen Âge.
Nous savons combien Augustin sera marqué par ce sac de Rome.
Nous sommes donc dans
un empire fragilisé de l'intérieur et de l'extérieur. De persécutée (en
particulier en Afrique du Nord et en Orient), l'Eglise va devenir le socle
d'une nouvelle civilisation, dans une démarche qui va placer l'homme au centre
de l'évangélisation.
2-
Un tournant pour la foi chrétienne
La foi chrétienne a eu
à traverser bien des soubresauts dans son processus d'élaboration, depuis les
premières communautés. Le quatrième siècle va connaître des moments forts et
des grandes figures. Je ne vais prendre que quatre épreuves et orientations
A-
Les donatistes
Le donatisme trouve sa genèse
dans un climat de persécutions des chrétiens d’Afrique romaine
(l'empire romain faisait le tour de la Méditerranée) . Dès les années 295-299, ces provinces africaines comptent des martyrs.
Le nom de cette hérésie vient de l'évêque
Donat le Grand. Les donatistes refusaient la validité des sacrements délivrés par des évêques qui avaient failli lors des
persécutions de Dioclétien, au début du IVème
siècle. Ainsi les "purs" s'opposaient à ceux qu'ils qualifiaient de "traitres".
Par deux conciles, les donatistes
furent condamnés. Persécutés, ils se considérèrent d'autant plus comme des purs, des martyrs. Cette dissension
dans l'Eglise d'Afrique la fragilisa...j'oserai
dire pour toujours. Mais il n'y eut pas de retentissement en Gaule. Là, comme ailleurs se pose la place de la
dimension pastorale, de l'attention aux personnes
...
B- La question arienne
Elle
n'est pas résolue par la concile de Nicée qui voit sa condamnation. Bon nombre
de théologiens, d'évêques et de princes,
en particulier germains, seront ariens, jusqu'au septième siècle. La
pensée arienne hérite du subordinatianisme,
selon lequel le Fils n'est pas de la
même nature que Dieu,
incréé et éternel, alors que Jésus est créé et, inscrit dans le temps. Si le Fils témoigne de Dieu, il n'est
pas Dieu, et si le Fils possède un
certain degré de divinité, elle est de moindre importance que celle du Père.
Pour Arius, le Père seul est éternel : le Fils et l'Esprit ont
été créés. La définition de Nicée, en
réaction, parlera de la consubstantialité, même nature, entre le Père,
le Fils et l'Esprit.. Le
Concile de Nicée créé du vocabulaire théologique en employant des termes grecs, non bibliques : nature,
substance, personne). Nous connaissons les paroles
du credo... (Il est Dieu, né de Dieu,
vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non
pas créé, de même nature que le Père
et par lui tout a été fait...)
Athanase,
évêque d'Alexandrie, va focaliser la lutte contre l'hérésie et connaîtra pour cela cinq exils en occident, par exemple à
Trèves en 335. Il y a peut-être rencontré
le jeune Martin qui était venu
près d'une figure chrétienne : Maximin. Nous savons qu'Hilaire de Poitiers dont la grande œuvre sera le traité sur la
Trinité connaîtra également
l'exil, en Orient, en 356 après le concile de Béziers, pour cette raison.
Cette
question de la divinité du Christ est désormais central dans la foi. Nous
savons que l'importance du geste
d'Amiens (le partage du manteau avec le pauvre) tient au songe de Martin qui dans la nuit entend le
Christ lui dire "Tu m'as revêtu de ton manteau"
: le geste n'est pas seulement un geste de charité...il devient le lieu de la relation à Dieu par Jésus Christ. Nous
avons là une spécificité de la foi chrétienne qui met le pauvre au centre : "ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait"
(Mt 25) . Martin n'a rien écrit, mais son influence dans le devenir du christianisme tient à cette
perception qu'il développera auprès d'Hilaire à Poitiers et Ligugé entre 347 et 371. Ce respect absolu de
l'unicité de Dieu qui ne peut s'incarner
se retrouvera dans l'Islam naissant dans ce même espace géographique.
B-
L'expérience du monachisme
Avec
la fin des persécutions et l'avènement d'un christianisme officiel, va naître
en Egypte (dans la mouvance
d'Alexandrie) et en Turquie actuelle dans la région de la Cappadoce, une démarche chrétienne qui
conduit à se retirer du monde pour mieux chercher
Dieu. Prendre l'Evangile à la lettre et suivre le Christ au désert, voilà le
défi de ces moines que l'on nommera
anachorètes à la différence de ceux qui se constitueront
en communautés et qui seront nommés cénobites. La grande figure en est Antoine, dont Athanase écrira la vie et qui
meurt en 356. En exil, Athanase propagera l'intérêt
pour cette manière exigeante de suivre le Christ.
En
Cappadoce (Turquie actuelle) des hommes vont également vivre l'érémitisme. Nous
connaissons trois grandes figures qui seront également de grands théologiens : Basile de Césarée, Grégoire de
Nysse, son frère et Grégoire de Nazianze. Basile baptisé en 357 qui succèdera à Eusèbe en 370, écrit en 375
un Traité du Saint Esprit. Il meurt en
379. La perfection pour Basile consiste à accomplir la volonté de Dieu,
c’est-à-dire à observer dans leur intégralité tous les commandements. Si Basile se
retire du monde pour mener avec des compagnons la vie ascétique, c’est pour se mettre dans les meilleurs conditions
d’accomplir tous les commandements de Dieu :
l’absolu de sa recherche lui est dicté par l’amour. La vie ascétique est pour Basile nécessairement communautaire
(cénobitique) Hilaire exilé en Phrygie y découvrira
cette pensée et la transmettra sans doute à son disciple Martin. Nous savons que vers 410, l'ermite Honorat
installera une communauté à Lérins...
C- La
crise priscillienne
Priscillien
est évêque d'Avila et développe une doctrine qui par certains côtés pouvaient se rapprocher du manichéisme
(avec deux principes du Bien et du Mal). La question
du Mal et du Malheur est une croix dans la réflexion croyante...en particulier si Dieu est Bon... Il prône l'abandon des
églises pour des retraites dans la campagne et impose
une forte ascèse. Priscillien est condamné une première fois au concile de Saragosse,
le 4 octobre 380. En 385, plutôt que de comparaître dans un concile, il préfère être jugé par un tribunal
séculier à Trèves où réside l'empereur. Saint Martin est présent à Trèves et refuse qu'un tribunal civil puisse juger
de questions de foi. Rejoint par
Ambroise de Milan (délégué par le jeune empereur Valentinien II),
saint Martin de Tours demande la
grâce pour Priscillien. Ambroise renonce, menacé de mort par l’empereur ; Martin, lui, obtient que les disciples de Priscillien ne
soient pas poursuivis. Par la suite, Martin de Tours, choqué par l'attitude
de nombreux évêques, refusa de participer aux assemblées
épiscopales, ce qui, avec ses efforts pour sauver
de la mort Priscillien, le fit suspecter d’hérésie, par certains. Mais le priscillianisme perdurera pendant un
bon siècle. Nous savons que le jeune Augustin sera
tenté par le manichéisme, lui aussi...
3- Avec Martin, l'Evangile en actes
Ayant pris la mesure du cadre historique et
religieux dans lesquels Martin se situe, nous allons pouvoir nous attacher à la
spécificité de l'évangélisation, de celui qui a marqué les consciences bien
au-delà du siège épiscopal de Tours. A la différence de bien des évêques de
l'époque, Martin n'a rien fait pour être évêque. Il a fallu utiliser un
subterfuge et jouer sur sa conscience évangélique pour lui faire quitter son monastère
de Ligugé et le conduire jusqu'à la cité de Tours, aux bords de la Loire. De
371 à 397, il imposera sur le siège de Tours, qui couvre la troisième
lyonnaise, une manière de vivre la foi sans compromission avec l'esprit du
monde de cette époque gallo-romaine. Nous n'avons que le récit, sans doute bien
subjectif, de Sulpice Sévère pour
apprécier son influence...mais je voudrais mettre en valeur cinq aspects qui
peuvent nourrir notre réflexion contemporaine sur l'évangélisation.
A- Choisir
entre Dieu et les idoles
Alors que la religion chrétienne
devient religion officielle, Martin, comme d'autres, entre en conflit avec les cultes païens qui perduraient. Il
est convaincu que l'adhésion au Dieu
unique est source de liberté. Certains philosophes d'alors, comme certains aujourd'hui, ne cessent de voir dans le
monothéisme la source d'une réelle violence. L'unicité
de Dieu semble conduire à l'intolérance. Et l'enjeu est bien, alors, de rendre à l'empereur
le culte qui lui est dû. L'affirmation du Christ "Rendez
à César ce qui est à César et à Dieu ce
qui est à Dieu" invite à relativiser l'absolu que la politique
voudrait s'attribuer, pour mettre la main
sur les consciences. Notre époque a ses idoles et nous savons bien que le vrai danger ne vient pas des autres monothéismes,
contrairement à ce que nous entendons
trop souvent ! Le vrai danger vient de cette tendance (tentation) à donner à l'argent, à la réussite, à la
compétition entre les hommes, à la loi du plus fort,
une place essentielle dans des rapports humains réduits à la loi du marché, de l'offre et de la demande.
Dans
son encyclique Laudato si, le pape
François nous dit : "La politique ne
doit pas se soumettre à l’économie
et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en
pensant au bien commun, nous avons
impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie,
spécialement de la vie humaine. Sauver les banques
à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme
décision de revoir et de
réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui
pourra seulement générer de nouvelles crises après
une longue, couteuse et apparente guérison." (189)
L'évangélisation
ne peut faire l'économie d'une juste réflexion sur les conversions profondes que suscite la priorité
mise à l'écoute de Dieu, qui se révèle à nous dans sa Parole.
B- Se
nourrir d'une vie de prière
Comme le dit le texte de Dei
Verbum (constitution conciliaire sur la Révélation) Dieu parle aux hommes comme un ami parle à des
amis. La foi est mise en présence et écoute
de Dieu. Alors que la vie urbaine favorise la superficialité, Martin, comme
tant d'autres, entend l'appel
du Christ "Venez à l'écart". Tout en assumant ses responsabilités d'évêque et en
accueillant les sollicitations quotidiennes, Martin prend les moyens de sauvegarder la relation intime
avec le Père qui s'est révélé définitivement
dans la vie et la mort de son Fils Jésus.
La prière n'est pas un confort personnel,
mais la mise en relation avec la miséricorde de Dieu. Se reconnaître aimé et laisser cet amour transformer
notre vie et notre vision des hommes et du monde.
Retrouvons
cette enthousiasme dont nous parle le pape François : "J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à
renouveler aujourd’hui même sa
rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de
se laisser rencontrer par lui, de le
chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas
pour lui, parce que « personne n’est
exclus de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas, et quand
quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts.(...)Personne
ne pourra nous enlever la
dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de relever la tête et de recommencer,
avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie. Ne fuyons pas la résurrection
de Jésus, ne nous donnons jamais
pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie qui nous pousse en avant !" (EG 3)
C- Veiller
à la liberté et à la dignité de l'homme
Du
pauvre vêtu par la moitié de manteau aux nombreux hommes et femmes libérés de leurs démons, la figure thaumaturgique de
Martin nous interroge. Comme dans l'Evangile,
l'annonce du Royaume passe par des gestes concrets qui révèlent à chacun leur dignité intrinsèque. (Nous
sommes dans un monde qui juge trop souvent la dignité en fonction des apparences !) La miséricorde de Dieu s'exprime en faisant
des choix : c'est ainsi qu'il fait
justice. Comme le dit Marie dans son cantique d'action de grâce : "Il
renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de biens
les affamés, renvoie les riches les
mains vides."
Martin
a bien compris que la figure du Bon Samaritain nous parle de l'attitude de Dieu
en Jésus-Christ. Dieu se rend vulnérable
en se laissant toucher par la souffrance de l'autre.
Martin nous invite à ne pas détourner le regard devant la souffrance des hommes. Notre regard éveille en nous la
force de la compassion. L'autre est toujours en
attente de libération. Nous savons combien notre regard peut détruire ou
redonner vie. Se faire proche de
l'autre, pour susciter en lui la vie.
Ne
soyons pas prisonnier de l'extraordinaire dans la vie de Martin comme dans
celle du Christ. les regards et les
gestes qui redonnent vie sont bien plus fréquents que nous le pensons. Souvenons-nous : "Amen Amen, je vous le
dis : celui qui croit en moi fera les
œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père." (Jn 14, 12)
L'évangélisation
ne peut se passer de ces signes de la miséricorde du Père. "La miséricorde
est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par
laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son
annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé
de miséricorde. La crédibilité
de l’Eglise passe par le chemin de l’amour miséricordieux et de la compassion. L’Eglise « vit un
désir inépuisable d’offrir la miséricorde ». Peut-être
avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la miséricorde. D’une part, la tentation
d’exiger toujours et seulement la justice a fait oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et
indispensable, mais l’Eglise doit aller
au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif."
(Bulle n° 10)
D- La
conversion au cœur de la démarche
La
rencontre du Christ transforme en profondeur notre existence. Cela doit se
voir. Le pape François dit dans
Evangelii Gaudium : "Il nous est
proposé de vivre à un niveau supérieur,
et pas pour autant avec une intensité moindre : « La vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit
dans l’isolement et l’aisance. De fait, ceux qui tirent le plus de profit de la vie sont ceux qui mettent la sécurité de
côté et se passionnent pour la
mission de communiquer la vie aux autres ». Quand l’Église appelle à l’engagement évangélisateur, elle ne fait rien
d’autre que d’indiquer aux chrétiens le vrai
dynamisme de la réalisation personnelle : « Nous découvrons ainsi une autre loi
profonde de la réalité : que la vie
s’obtient et se mûrit dans la mesure où elle est livrée pour donner la vie aux autres. C’est cela finalement la mission
». Par conséquent, un
évangélisateur ne devrait pas avoir constamment une tête d’enterrement. Retrouvons et augmentons la ferveur, « la douce et réconfortante joie
d’évangéliser, même lorsque c’est dans les larmes qu’il faut
semer […] Que le monde de notre temps qui
cherche, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espérance, puisse recevoir la
Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés,
impatients ou anxieux, mais de ministres
de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçu en eux la joie du Christ ». (EG 10
Pour
Martin, cette conversion était invitation à une vie ascétique. Nous parlons aujourd'hui de sobriété : Vous avez tous lu
ces passages de Laudato si : (203) Étant donné que le marché tend à créer un
mécanisme consumériste compulsif pour placer ses
produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale
d’achats et de dépenses inutiles. Le
consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique.... (209) La
conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique doit se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup
savent que le progrès actuel, tout comme
la simple accumulation d’objets ou de plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au cœur
humain, mais ils ne se sentent pas capables de
renoncer à ce que le marché leur offre.... (217) S’il est vrai que « les
déserts extérieurs se multiplient dans
notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands », la crise écologique est un appel à
une profonde conversion intérieure....
(220)) Cette conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour promouvoir une protection généreuse et
pleine de tendresse. En premier lieu, elle implique
gratitude et gratuité, c’est-à-dire une reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour
conséquence des attitudes gratuites de renoncement
et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les reconnaît : « Que ta main gauche ignore ce
que fait ta main droite [...] et ton Père qui voit
dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion implique
aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de
former avec les autres êtres
de l’univers une belle communion universelle."
E- la
communauté, lieu d'Eglise
Sulpice Sévère nous dit que Martin ne pu rester enfermer
dans les remparts de la cité de
Tours. Non seulement, il allait régulièrement retrouver sa communauté de frères
qui vivaient dans l'ascèse et la
prière, mais il décida d'aller à la rencontre des paysans païens et de leur faire connaître la Bonne
Nouvelle. Je pense que c'est un peu rapide de dire
qu'il fonda des paroisses...mais il eut à cœur de proposer le signe de la vie communautaire. Le pape François écrit dans Evangelii Gaudium
au paragraphe 180 : "En lisant les Écritures, il apparaît du
reste clairement que la proposition de l’Évangile
ne consiste pas seulement en une relation personnelle avec Dieu. Et notre réponse d’amour ne devrait pas s’entendre non
plus comme une simple somme de petits
gestes personnels en faveur de quelque individu dans le besoin, ce qui pourrait
constituer une sorte de “charité à la carte”, une suite d’actions
tendant seulement à tranquilliser
notre conscience. La proposition est
le Royaume de Dieu (Lc 4,
43) ; il s’agit d’aimer Dieu qui règne
dans le monde. Dans la mesure où il réussira à régner parmi nous, la vie sociale sera un espace de fraternité, de
justice, de paix, de dignité pour
tous."
Nous ne sommes pas tous appelé à devenir moine dans un
monastère...mais ce signe de la
communauté doit être retrouvé. Trop souvent, nous pensons l'Église comme un service public que nous fréquentons selon nos
besoins. La vie chrétienne appelle la dynamique
communautaire, avec ses moments de joies et ses souffrances. Nous savons que Martin jusqu'à sa mort
travailla à ce processus de réconciliation indispensable
à toute communauté chrétienne. Nous vivons dans un monde individualiste où chacun essaie de
défendre son espace privé. D'ailleurs pour certains contemporains, la religion est de cet espace privé qui n'a
pas d'incidence sur la vie sociale.
Faire Église ne va pas de soi ! Dans un
monde de consommateurs, les biens spirituels deviennent facilement une offre
sur le marché et nous sommes heureux
d'avoir un libre choix. Et si
nous redécouvrions le caractère matricielle de l'Église dans la démarche de foi ? Martin, par delà la
différence des époques nous en montre le chemin.
En conclusion, je
m'interroge : Ai-je répondu à la demande ? Nous n'avons aucun texte de ce grand
témoin de la foi ? Nous faisons confiance à l'hagiographie de Sulpice Sévère...
Nous nous étonnons du rayonnement de la figure martinienne dans toute l'Europe
(bien plus qu'Ambroise et Hilaire ses contemporains). Je voudrais mettre en
valeur trois aspects incontournables de l'évangélisation.
* Un enracinement en
Dieu et dans sa Parole
La vie chrétienne est
contemplation silencieuse du mystère. Nous ne sommes pas tous appelés à la vie
monastique, mais toute vie croyante est "Coram Deo" - devant Dieu -
Comme le disait D. Bonhoeffer : "Nous vivons devant Dieu dans un monde sans
Dieu". Nous ne rejoignons pleinement Dieu que dans l'écoute de sa Parole.
Mesurons notre chance de l'avoir à disposition, dans la célébration liturgique,
dans la prière communautaire et personnelle. Nous sommes invités à laisser
cette Parole façonner notre existence. L'exigence intérieure précède l'exigence
extérieure...
* Une attention.au frère
et au plus petit
La prise en compte de
l'amour de Dieu pour sa création conduit à un regard bienveillant
(miséricordieux) sur toute créature (cf. Laudato Si) Se vouloir frère universel
(cf. Charles de Foucauld)...Regardons les grandes figures chrétiennes
contemporaines... Pensons aussi à la logique de Diaconia 2013. La logique du
prochain est celle du Bon Samaritain (Luc 10). Servir le plus petit, c'est
servir Dieu (Mt 25...St Jean Chrysostome) Une logique propre au christianisme
qui fait de l'éthique une dimension théologique parce que théologale.
* Un souci de communion
pour faire Corps
Ce n'est pas une
communion facile...mais une grâce qui coûte (crucifiante). "Non recuso laborem" dit St Martin à
la veille de sa mort pour aller à Candes. La communion n'est pas une
juxtaposition où chacun trouve sa nourriture. Mais comme le dit la Didaché :
"Comme ces grains de blés autrefois
disséminés sur les collines ont été broyés pour ne faire qu'un seul
pain..." Nous sommes appelés à une communion dans la vérité pour faire
signe.
Jean-Marie
ONFRAY
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