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Diocèse de Tours

 3 janvier

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L’évangélisation, avec saint Martin comme modèle
Par VDA**********AIL le 07/03/2016 19:41:41:00, cet article a été lu 154 fois.

l’évangélisation, avec saint Martin comme modèle

 

Cette première conférence de Carême se propose de mettre en valeur la figure de Martin de Tours comme modèle d'évangélisation. L'apôtre des Gaules aurait quelque chose à dire aux chrétiens du XXIème siècle que nous sommes...

Pour y réfléchir, je vais dans un premier temps resituer le troisième évêque de Tours dans le contexte historique de son temps. Le fait même de fêter le dix septième centenaire de sa naissance nous oblige à prendre en compte l'écart historique. Nous savons les éléments de la vie de saint Martin tels que Sulpice Sèvère son contemporain et admirateur nous les relate. Mais, il est toujours essentiel de situer une figure dans son contexte historique.

Je veillerai ensuite à poser quelques éléments de l'état de la chrétienté en cette période charnière du IVème siècle. Nous pourrons ainsi mieux comprendre l'impact du disciple d'Hilaire en ce siècle où l'Église passe du statut de persécutée à celui de religion de l'empire.

Enfin, je tenterai de mettre en valeur des aspects de la mission que saint Martin a vécu avec une audace dont nous aurions parfois besoin. Le visage de l'Église a été profondément modelée au cours des siècles et le rapport de l'Église au monde a pris des formes nouvelles ; il nous revient de puiser, au même Évangile, la force de renouvellement, en particulier en cette année de la miséricorde.

 

1- L'empire romain au IVème siècle

En 316, lorsque Martin naît aux confins de l'Empire, à Savaria (dans la Hongrie actuelle). Constantin est empereur depuis trois ans. Celui qui ne sera baptisé qu'à la veille de sa mort en 337 s'est imposé sur les deux pôles de l'empire romain. Mais le centre de gravité bascule de Trèves vers l'orient et Byzance l'emporte. Influencé par sa mère Hélène, Constantin va s'appuyer sur la foi chrétienne qui était jusque là régulièrement persécutée pour asseoir et fonder son autorité. Avec l'Édit de Milan, en 313,  l'empereur Constantin impose une liberté religieuse avec restitution des locaux pris aux chrétiens. Cette tolérance n'est possible que parce qu'elle ne fragilise pas les piliers du pouvoir. Il se trouve que l'Eglise est traversée par de profondes divisions autour de la question de la divinité du Christ-Jésus. À Alexandrie, l'un des sièges apostoliques (avec Rome et Antioche), une doctrine apparaît pour sauvegarder la transcendance du Dieu unique. Les évêques se partagent entre tenants et opposants à la doctrine d'Arius, Constantin convoque un concile général des évêques de l'empire à Nicée en 325. Sur les 250 participants, il n'y avait qu'une poignée d'occidentaux !

Ce souci d'unité est indispensable autant pour garder la cohésion d'un empire qui fait le tour de la méditerranée que face aux invasions barbares qui menacent les frontières du Nord. La succession de Constantin fut difficile et sanglante. En 355, le jeune Julien, qui a renié la foi chrétienne, est nommé César de Gaule. De 361 à 363 il régna comme empereur et laissa sa marque dans la tradition chrétienne comme Julien l'Apostat. En 364, les Alamans envahiront la Gaule et en 378, les Goths seront vainqueurs des romains. L'empereur Théodose fera, en 380, de la religion chrétienne la religion officielle de l'empire. En 381, le concile de Constantinople se déroulera, convoqué par Théodose, avec 150 évêques, tous orientaux. Confirmant Nicée, il travaillera la question du Saint Esprit. Mais l'empire est fragilisé et en 386, les ostrogoths envahissent la Phrygie. L'empire est séparé en deux (Orient et Occident) à la mort de Théodose en 395. Avec le passage du Rhin en 406 et l’irruption des Vandales et des Suèves dans l’empire on assiste à l’écroulement lent mais inexorable de l’administration impériale à l’Ouest, ce qui conduira à la déposition du dernier empereur occidental, alors qu’à l’Est les structures de l’empire, quoiqu’affaiblies par les guerres menées contre d’autres envahisseurs, tiendront bon. Le sac de Rome a lieu en août 410. Les Wisigoths conduits par Alaric Ier prennent et pillent Rome, qui n’avait pas été prise depuis 390 av. J.-C. Pour les historiens, nous passons alors de la fin de l’Antiquité au Haut Moyen Âge. Nous savons combien Augustin sera marqué par ce sac de Rome.

Nous sommes donc dans un empire fragilisé de l'intérieur et de l'extérieur. De persécutée (en particulier en Afrique du Nord et en Orient), l'Eglise va devenir le socle d'une nouvelle civilisation, dans une démarche qui va placer l'homme au centre de l'évangélisation.

 

2- Un  tournant pour la foi chrétienne

La foi chrétienne a eu à traverser bien des soubresauts dans son processus d'élaboration, depuis les premières communautés. Le quatrième siècle va connaître des moments forts et des grandes figures. Je ne vais prendre que quatre épreuves et orientations

A- Les donatistes

            Le donatisme trouve sa genèse dans un climat de persécutions des chrétiens d’Afrique   romaine (l'empire romain faisait le tour de la Méditerranée) . Dès les années 295-299,           ces provinces africaines comptent des martyrs. Le nom de cette hérésie vient de     l'évêque Donat le Grand. Les donatistes refusaient la validité des sacrements délivrés    par des évêques qui avaient failli lors des persécutions de Dioclétien, au début du             IVème siècle. Ainsi les "purs" s'opposaient à ceux qu'ils qualifiaient de "traitres". Par       deux conciles, les donatistes furent condamnés. Persécutés, ils se considérèrent         d'autant plus comme des purs, des martyrs. Cette dissension dans l'Eglise d'Afrique la             fragilisa...j'oserai dire pour toujours. Mais il n'y eut pas de retentissement en Gaule.        Là, comme ailleurs se pose la place de la dimension pastorale, de l'attention aux   personnes ...

B- La question arienne

            Elle n'est pas résolue par la concile de Nicée qui voit sa condamnation. Bon nombre de   théologiens, d'évêques et de princes, en particulier germains, seront ariens, jusqu'au      septième siècle.  La pensée arienne hérite du subordinatianisme, selon lequel le Fils     n'est pas de la même nature que Dieu, incréé et éternel, alors que Jésus est créé et,       inscrit dans le temps. Si le Fils témoigne de Dieu, il n'est pas Dieu, et si le Fils possède   un certain degré de divinité, elle est de moindre importance que celle du Père. Pour Arius, le Père seul est éternel : le Fils et l'Esprit ont été créés. La définition de Nicée,           en réaction,  parlera de la consubstantialité, même nature, entre le Père, le Fils et             l'Esprit.. Le Concile de Nicée créé du vocabulaire théologique en employant des termes grecs, non bibliques : nature, substance, personne). Nous connaissons les             paroles du credo... (Il est Dieu, né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré             non      pas créé, de même nature que le Père et par lui tout a été fait...)

            Athanase, évêque d'Alexandrie, va focaliser la lutte contre l'hérésie et connaîtra pour      cela cinq exils en occident, par exemple à Trèves en 335. Il y a peut-être rencontré  le jeune Martin qui était venu près d'une figure chrétienne : Maximin. Nous savons   qu'Hilaire de Poitiers dont la grande œuvre sera le traité sur la Trinité connaîtra             également l'exil, en Orient, en 356 après le concile de Béziers, pour cette raison.

            Cette question de la divinité du Christ est désormais central dans la foi. Nous savons      que l'importance du geste d'Amiens (le partage du manteau avec le pauvre) tient au      songe de Martin qui dans la nuit entend le Christ lui dire "Tu m'as revêtu de ton           manteau" : le geste n'est pas seulement un geste de charité...il devient le lieu de la         relation à Dieu par Jésus Christ. Nous avons là une spécificité de la foi chrétienne qui     met le pauvre au centre : "ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à            moi que vous l'avez fait" (Mt 25) . Martin n'a rien écrit, mais son influence dans le       devenir du christianisme tient à cette perception qu'il développera auprès d'Hilaire à       Poitiers et Ligugé entre 347 et 371. Ce respect absolu de l'unicité de Dieu qui ne peut     s'incarner se retrouvera dans l'Islam naissant dans ce même espace géographique.

B- L'expérience du monachisme

            Avec la fin des persécutions et l'avènement d'un christianisme officiel, va naître en         Egypte (dans la mouvance d'Alexandrie) et en Turquie actuelle dans la région de la           Cappadoce, une démarche chrétienne qui conduit à se retirer du monde pour mieux     chercher Dieu. Prendre l'Evangile à la lettre et suivre le Christ au désert, voilà le défi     de ces moines que l'on nommera anachorètes à la différence de ceux qui se          constitueront en communautés et qui seront nommés cénobites. La grande figure en est      Antoine, dont Athanase écrira la vie et qui meurt en 356. En exil, Athanase propagera   l'intérêt pour cette manière exigeante de suivre le Christ.

            En Cappadoce (Turquie actuelle) des hommes vont également vivre l'érémitisme.            Nous connaissons trois grandes figures qui seront également de grands théologiens :             Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, son frère et Grégoire de Nazianze. Basile            baptisé en 357 qui succèdera à Eusèbe en 370, écrit en 375 un Traité du Saint    Esprit. Il meurt en 379. La perfection pour Basile consiste à accomplir      la volonté de   Dieu, c’est-à-dire à observer dans leur intégralité tous les            commandements. Si Basile    se retire du monde pour mener avec des compagnons la vie ascétique, c’est pour se   mettre dans les meilleurs conditions d’accomplir tous les commandements de   Dieu : l’absolu de sa recherche lui est dicté par l’amour. La vie ascétique est pour            Basile nécessairement communautaire (cénobitique) Hilaire exilé en Phrygie y     découvrira cette pensée et la transmettra sans doute à son disciple Martin. Nous savons         que vers 410, l'ermite Honorat installera une communauté à Lérins...          

 

C- La crise priscillienne

            Priscillien est évêque d'Avila et développe une doctrine qui par certains côtés      pouvaient se rapprocher du manichéisme (avec deux principes du Bien et du Mal). La question du Mal et du Malheur est une croix dans la réflexion croyante...en particulier      si Dieu est Bon... Il prône l'abandon des églises pour des retraites dans la campagne et    impose une forte ascèse. Priscillien est condamné une première fois au concile de            Saragosse, le 4 octobre 380. En 385, plutôt que de comparaître dans un concile, il         préfère être jugé par un tribunal séculier à Trèves où réside l'empereur. Saint Martin     est présent à Trèves et refuse qu'un tribunal civil puisse juger de questions de foi.         Rejoint par Ambroise de Milan (délégué par le jeune empereur Valentinien II), saint        Martin de Tours demande la grâce pour Priscillien. Ambroise renonce, menacé de            mort par l’empereur ; Martin, lui,  obtient que les disciples de Priscillien ne soient        pas poursuivis. Par la suite, Martin de Tours, choqué par l'attitude de nombreux           évêques,  refusa de participer aux assemblées épiscopales, ce qui, avec ses efforts pour             sauver de la mort Priscillien, le fit suspecter d’hérésie, par certains. Mais le           priscillianisme perdurera pendant un bon siècle. Nous savons que le jeune Augustin             sera tenté par le manichéisme, lui aussi...

 

3- Avec Martin, l'Evangile en actes

Ayant pris la mesure du cadre historique et religieux dans lesquels Martin se situe, nous allons pouvoir nous attacher à la spécificité de l'évangélisation, de celui qui a marqué les consciences bien au-delà du siège épiscopal de Tours. A la différence de bien des évêques de l'époque, Martin n'a rien fait pour être évêque. Il a fallu utiliser un subterfuge et jouer sur sa conscience évangélique pour lui faire quitter son monastère de Ligugé et le conduire jusqu'à la cité de Tours, aux bords de la Loire. De 371 à 397, il imposera sur le siège de Tours, qui couvre la troisième lyonnaise, une manière de vivre la foi sans compromission avec l'esprit du monde de cette époque gallo-romaine. Nous n'avons que le récit, sans doute bien subjectif,  de Sulpice Sévère pour apprécier son influence...mais je voudrais mettre en valeur cinq aspects qui peuvent nourrir notre réflexion contemporaine sur l'évangélisation.

A- Choisir entre Dieu et les idoles

            Alors que la religion chrétienne devient religion officielle, Martin, comme d'autres,         entre en conflit avec les cultes païens qui perduraient. Il est convaincu que l'adhésion    au Dieu unique est source de liberté. Certains philosophes d'alors, comme certains aujourd'hui, ne cessent de voir dans le monothéisme la source d'une réelle violence.         L'unicité de Dieu semble conduire à l'intolérance. Et l'enjeu est bien, alors,  de rendre à   l'empereur le culte qui lui est dû. L'affirmation du Christ  "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" invite à relativiser l'absolu que la politique voudrait s'attribuer, pour mettre la main sur les consciences. Notre époque a ses idoles et nous savons bien que le vrai danger ne vient pas des autres monothéismes, contrairement à      ce que nous entendons trop souvent ! Le vrai danger vient de cette tendance (tentation)         à donner à l'argent, à la réussite, à la compétition entre les hommes, à la loi du plus          fort, une place essentielle dans des rapports humains réduits à la loi du marché, de        l'offre et de la demande.

            Dans son encyclique Laudato si, le pape François nous dit : "La politique ne doit pas       se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au      paradigme d’efficacité de la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun,    nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se     mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine. Sauver les          banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision           de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue   des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises      après une longue, couteuse et apparente guérison." (189)

            L'évangélisation ne peut faire l'économie d'une juste réflexion sur les conversions            profondes que suscite la priorité mise à l'écoute de Dieu, qui se révèle à nous dans sa       Parole.

B- Se nourrir d'une vie de prière

            Comme le dit le texte de Dei Verbum (constitution conciliaire sur la Révélation) Dieu     parle aux hommes comme un ami parle à des amis. La foi est mise en présence et       écoute de Dieu. Alors que la vie urbaine favorise la superficialité, Martin, comme tant             d'autres, entend l'appel du Christ "Venez à l'écart". Tout en assumant ses             responsabilités d'évêque et en accueillant les sollicitations quotidiennes, Martin prend     les moyens de sauvegarder la relation intime avec le Père qui s'est révélé   définitivement dans la vie et la mort de son Fils Jésus. La prière n'est pas un confort      personnel, mais la mise en relation avec la miséricorde de Dieu. Se reconnaître aimé             et laisser cet amour transformer notre vie et notre vision des hommes et du monde.

            Retrouvons cette enthousiasme dont nous parle le pape François : "J’invite chaque          chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même      sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se     laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif    pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que       « personne n’est exclus de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le          Seigneur ne le déçoit pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre     que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts.(...)Personne ne pourra nous           enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de             relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui      peut toujours nous rendre la joie. Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, ne nous        donnons jamais pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie    qui nous pousse en avant !" (EG 3)

C- Veiller à la liberté et à la dignité de l'homme

            Du pauvre vêtu par la moitié de manteau aux nombreux hommes et femmes libérés de    leurs démons, la figure thaumaturgique de Martin nous interroge. Comme dans       l'Evangile, l'annonce du Royaume passe par des gestes concrets qui révèlent à chacun            leur dignité intrinsèque. (Nous sommes dans un monde qui juge trop souvent la dignité       en fonction des apparences !)  La miséricorde de Dieu s'exprime en faisant des choix :    c'est ainsi qu'il fait justice. Comme le dit Marie dans son cantique d'action de grâce :   "Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de biens les      affamés, renvoie les riches les mains vides." 

            Martin a bien compris que la figure du Bon Samaritain nous parle de l'attitude de Dieu   en Jésus-Christ. Dieu se rend vulnérable en se laissant toucher par la souffrance de         l'autre. Martin nous invite à ne pas détourner le regard devant la souffrance des        hommes. Notre regard éveille en nous la force de la compassion. L'autre est toujours           en attente de libération. Nous savons combien notre regard peut détruire ou redonner     vie. Se faire proche de l'autre, pour susciter en lui la vie.

                Ne soyons pas prisonnier de l'extraordinaire dans la vie de Martin comme dans celle       du Christ. les regards et les gestes qui redonnent vie sont bien plus fréquents que nous    le pensons. Souvenons-nous : "Amen Amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera          les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père." (Jn 14, 12)

            L'évangélisation ne peut se passer de ces signes de la miséricorde du Père. "La     miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. Dans son action pastorale, tout   devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans            son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de           miséricorde. La crédibilité de l’Eglise passe par le chemin de l’amour miséricordieux      et de la compassion. L’Eglise « vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde ».   Peut-être avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la    miséricorde. D’une part, la tentation d’exiger toujours et seulement la justice a fait       oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Eglise doit     aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif." (Bulle n° 10)

D- La conversion au cœur de la démarche

            La rencontre du Christ transforme en profondeur notre existence. Cela doit se voir. Le   pape François dit dans Evangelii Gaudium : "Il nous est proposé de vivre à un niveau           supérieur, et pas pour autant avec une intensité moindre : « La vie augmente quand            elle est donnée et elle s’affaiblit dans l’isolement et l’aisance. De fait, ceux qui tirent      le plus de profit de la vie sont ceux qui mettent la sécurité de côté et se passionnent           pour la mission de communiquer la vie aux autres ». Quand l’Église appelle à l’engagement évangélisateur, elle ne fait rien d’autre que d’indiquer aux chrétiens le vrai dynamisme de la réalisation personnelle : « Nous découvrons ainsi une autre loi    profonde de la réalité : que la vie s’obtient et se mûrit dans la mesure où elle est livrée     pour donner la vie aux autres. C’est cela finalement la mission ». Par conséquent,         un évangélisateur ne devrait pas avoir constamment une tête d’enterrement.            Retrouvons et augmentons la ferveur, « la douce et réconfortante joie d’évangéliser,             même lorsque             c’est dans les larmes qu’il faut semer […] Que le monde de notre temps             qui cherche, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espérance, puisse recevoir la Bonne      Nouvelle, non             d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de      ministres de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçu en      eux la joie du Christ ». (EG 10

            Pour Martin, cette conversion était invitation à une vie ascétique. Nous parlons    aujourd'hui de sobriété : Vous avez tous lu ces passages de Laudato si : (203) Étant             donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et      de dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme            techno-économique.... (209) La conscience de la gravité de la crise culturelle et    écologique doit se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup savent que le    progrès actuel, tout comme la simple accumulation d’objets ou de plaisirs, ne suffit    pas à donner un sens ni de la joie au cœur humain, mais ils ne se sentent pas capables     de renoncer à ce que le marché leur offre.... (217) S’il est vrai que « les déserts    extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont             devenus très grands », la crise écologique est un appel à une profonde conversion             intérieure.... (220)) Cette conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour     promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse. En premier lieu, elle    implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une reconnaissance du monde comme don          reçu de l’amour du Père, ce qui a pour conséquence des attitudes gratuites de     renoncement et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les     reconnaît : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite [...] et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec             les autres êtres de l’univers une belle communion universelle."

E- la communauté, lieu d'Eglise

            Sulpice Sévère nous dit que Martin ne pu rester enfermer dans les remparts de la cité      de Tours. Non seulement, il allait régulièrement retrouver sa communauté de frères qui    vivaient dans l'ascèse et la prière, mais il décida d'aller à la rencontre des paysans       païens et de leur faire connaître la Bonne Nouvelle. Je pense que c'est un peu rapide de dire qu'il fonda des paroisses...mais il eut à cœur de proposer le signe de la vie     communautaire.  Le pape François écrit dans Evangelii Gaudium au paragraphe 180 :   "En lisant les Écritures, il apparaît du reste clairement que la proposition de        l’Évangile ne consiste pas seulement en une relation personnelle avec Dieu. Et notre    réponse d’amour ne devrait pas s’entendre non plus comme une simple somme de           petits gestes personnels en faveur de quelque individu dans le besoin, ce qui pourrait    constituer une sorte de “charité à la carte”, une suite d’actions tendant seulement à         tranquilliser notre conscience. La proposition est le Royaume de Dieu (Lc 4, 43) ; il   s’agit d’aimer Dieu qui règne dans le monde. Dans la mesure où il réussira à régner       parmi nous, la vie sociale sera un espace de fraternité, de justice, de paix, de dignité     pour tous."

            Nous ne sommes pas tous appelé à devenir moine dans un monastère...mais ce signe        de la communauté doit être retrouvé. Trop souvent, nous pensons l'Église comme un service public que nous fréquentons selon nos besoins. La vie chrétienne appelle la dynamique communautaire, avec ses moments de joies et ses souffrances. Nous             savons que Martin jusqu'à sa mort travailla à ce processus de réconciliation           indispensable à toute communauté chrétienne. Nous vivons dans un monde         individualiste où chacun essaie de défendre son espace privé. D'ailleurs pour certains            contemporains, la religion est de cet espace privé qui n'a pas d'incidence sur la vie       sociale. Faire Église ne va pas de soi ! Dans un  monde de consommateurs, les biens       spirituels deviennent facilement une offre sur le marché et            nous sommes heureux            d'avoir un libre choix. Et si nous redécouvrions le caractère matricielle de l'Église dans         la démarche de foi ? Martin, par delà la différence des époques nous en montre le     chemin.

En conclusion, je m'interroge : Ai-je répondu à la demande ? Nous n'avons aucun texte de ce grand témoin de la foi ? Nous faisons confiance à l'hagiographie de Sulpice Sévère... Nous nous étonnons du rayonnement de la figure martinienne dans toute l'Europe (bien plus qu'Ambroise et Hilaire ses contemporains). Je voudrais mettre en valeur trois aspects incontournables de l'évangélisation.

* Un enracinement en Dieu et dans sa Parole

La vie chrétienne est contemplation silencieuse du mystère. Nous ne sommes pas tous appelés à la vie monastique, mais toute vie croyante est "Coram Deo" - devant Dieu - Comme le disait D. Bonhoeffer : "Nous vivons devant Dieu dans un monde sans Dieu". Nous ne rejoignons pleinement Dieu que dans l'écoute de sa Parole. Mesurons notre chance de l'avoir à disposition, dans la célébration liturgique, dans la prière communautaire et personnelle. Nous sommes invités à laisser cette Parole façonner notre existence. L'exigence intérieure précède l'exigence extérieure...

* Une attention.au frère et au plus petit

La prise en compte de l'amour de Dieu pour sa création conduit à un regard bienveillant (miséricordieux) sur toute créature (cf. Laudato Si) Se vouloir frère universel (cf. Charles de Foucauld)...Regardons les grandes figures chrétiennes contemporaines... Pensons aussi à la logique de Diaconia 2013. La logique du prochain est celle du Bon Samaritain (Luc 10). Servir le plus petit, c'est servir Dieu (Mt 25...St Jean Chrysostome) Une logique propre au christianisme qui fait de l'éthique une dimension théologique parce que théologale.

* Un souci de communion pour faire Corps

Ce n'est pas une communion facile...mais une grâce qui coûte (crucifiante). "Non recuso laborem" dit St Martin à la veille de sa mort pour aller à Candes. La communion n'est pas une juxtaposition où chacun trouve sa nourriture. Mais comme le dit la Didaché : "Comme ces grains de blés autrefois disséminés sur les collines ont été broyés pour ne faire qu'un seul pain..." Nous sommes appelés à une communion dans la vérité pour faire signe.

 

                                                                                              Jean-Marie ONFRAY